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Le grand invité Afrique

Le grand invité Afrique

RFI

Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

958 - Philippe Lacôte: «Le cinéma du monde n’est pas un genre. II faut essayer d'être plus authentique»
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  • 958 - Philippe Lacôte: «Le cinéma du monde n’est pas un genre. II faut essayer d'être plus authentique»

    Le grand invité Afrique de ce matin est le réalisateur ivoirien Philippe Lacôte, parrain de la Fabrique du cinéma 2024 à Cannes, une initiative qui vise à aider la production des pays émergents, et ce depuis seize ans maintenant. Dix projets diversifiés de films ont été sélectionnés pour bénéficier de l'aide à la production. C'est l'occasion d'échanger avec le parrain de la Fabrique sur son parcours cinématographique, son pays et les jeunes créateurs qu'il va accompagner.
     

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    Sat, 18 May 2024
  • 957 - Femua: «En dehors de la musique, on peut être un pion essentiel pour le développement de son pays»

    Salif Traoré, dit A'Salfo, leader du groupe Magic Systèm, est délégué général du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), dont on fête la seizième édition. Un événement devenu une référence sur le continent africain par la qualité de sa programmation : Gims, Yémi Aladé, Sona Jobarteh, Tamsir partagent notamment la grande scène... mais il est surtout réputé pour son engagement permanent dans le développement social, économique et diplomatique, avec cette année, le thème de la santé mentale chez les jeunes. Entretien.

    RFI : Musique, social… Pourquoi le Femua doit être intégré à la société ?

    Salif Traoré : Quand on est artiste, on vit constamment engagé, parce qu’on a envie de dire des choses, on a la chance de faire l’un des plus beaux métiers du monde, qui est un canal pour promouvoir des valeurs… On a envie d’apporter notre contribution, on a envie d’apporter notre grain de sel. C’est ce qui nous amène à créer des activités qui peuvent être transversales entre la musique et tout ce qui peut contribuer au bien-être des populations.

    À quel moment avez-vous compris que la musique, c’est de la politique ?

    On l’a compris un peu trop tôt parce qu’il fallait sortir de ce canal. Le musicien, ce n’est pas seulement celui qui vient sur scène pour faire danser. Le musicien a un métier qui lui permet de s’adresser à tout le monde sans barrière linguistique, sans appartenance politique ni obédience religieuse. Il parle à tout le monde sans distinction. Il a une force et cette force, il peut l’utiliser à bon escient : contribuer à l’éducation, à promouvoir la paix, à promouvoir la cohésion sociale. En dehors de la musique, on peut être vraiment un pion essentiel pour le développement de son pays, quand on le veut. La classe politique écoute aussi quand nous avons des projets. Si on dit à la classe politique « on va chanter, on va danser », alors elle nous regardera chanter et danser.

    Justement, cette année, un thème fondamental : la santé mentale chez les jeunes. Comment vous est venue cette idée ?

    C’était important. Lors d’une visite à l’hôpital psychiatrique de Bingerville, j’ai vu ce qu’il se passait autour et j’ai parlé avec certaines personnes qui disaient que les gens les traitaient de « fous » alors que, généralement, ce ne sont pas des gens qui sont nécessairement dans la folie. Souvent, ce manque d’attention, ça les amène à se renfermer sur eux. Et puis, beaucoup de jeunes, aujourd’hui, sont confrontés à des difficultés qui les amènent souvent à emprunter des chemins qui ne sont pas forcément les meilleurs… La drogue, l’alcool, peuvent être des facteurs qui les amènent à développer cette pathologie. Souvent, ils ont besoin d’être écoutés, entendus. Si on dit que la richesse de l’Afrique, c’est sa démographie qui est à 70 % composée de jeunes, il faudrait aussi que l’on s’intéresse aussi aux problèmes de ces jeunes. Sinon, l’avantage de l’Afrique risque de devenir un inconvénient pour ce continent.

    Est-ce qu’aujourd’hui, vous arrivez à chiffrer l’impact économique du festival, chaque année ?

    Les données sont là, au bout de quinze années. Le groupe Magic System a pu offrir, avec le Femua, entre 12 000 et 15 000 emplois directs et indirects à travers le Femua. Il y a dix écoles qui ont été construites et deux en construction. Pendant le Femua, le taux de remplissage des hôtels augmente, les taxis roulent toute la nuit, les petits commerçants qui sont aux bords des routes vendent toute la nuit. Donc, il y a un fort impact économique. Et puis, cerise sur le gâteau, cela crée de la cohésion sociale. Aujourd’hui, le Femua est devenu comme une Coupe d’Afrique de la culture, cela crée de l’intégration aussi entre les pays africains. La preuve en est, la Guinée-Bissau cette année. Il y a des retombées qui sont incalculables.

    Vous citez la Guinée-Bissau, qui est le pays invité. Là encore, ce festival, c'est de la diplomatie pure.

    C’est de la diplomatie culturelle. Parce que la culture n’a pas de langue, comme on dit. C’est pourquoi la Guinée-Bissau, qui est un pays lusophone, se trouve aujourd’hui dans l’un des plus grands festivals francophones. Je crois que le Femua joue aussi son rôle, la musique joue son rôle, mais avec subtilité.

    Pour terminer cet entretien, Salif Traoré, la question la plus difficile : quel est votre coup de cœur pour cette 16e édition du Femua ?

    Pour le coup de cœur, je suis partagé entre Sona Jobarteh, qui est l’une des meilleures koralistes du monde… Elle tourne partout. J’ai trouvé qu’elle était plus à l’extérieur qu’en Afrique et qu’il fallait avoir Sona Jobarteh. Et il y a aussi Tamsir, qui est une étoile montante et qui fait là une de ses premières grandes scènes. Ce sont mes deux coups de cœur. Ce sont ceux-là que j’attends de voir.

     

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    Fri, 17 May 2024
  • 956 - Cinéma en Afrique: «Les femmes participent à l'essor de l'industrie», dit Emma Sangaré

    Le Festival de Cannes donne lieu à des projections cinématographiques, mais aussi à des rencontres et des forums sur le Septième art. Ce jeudi se tient un débat sur la place des femmes dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel au « Pavillon Afriques ». Débat auquel participeront des réalisatrices, des productrices, des actrices, ainsi qu’Emma Sangaré, co-directrice de l’école de cinéma Kourtrajmé à Dakar, au Sénégal. Entretien.

    RFI : On assiste, en ce moment, à un essor du cinéma africain, et notamment des productions télévisuelles. Est-ce que les femmes participent à ce mouvement ?

    Emma Sangaré : Bien sûr que les femmes participent à l’essor de la production, de tout le développement et de la structuration de l’industrie du cinéma en Afrique. Premièrement, en étant représentées à tous les postes, elles prennent de plus en plus en place. Je pense à Kalista, Angèle, Chloé, productrices, à des réalisatrices comme Amina, Mariam, à des scriptes, à des techniciennes, des scénaristes, des formatrices, des actrices… Elles sont là, à tous les postes et de plus en plus présentes. On voit une vraie différence depuis quelques années.

    Cet essor des femmes africaines dans le cinéma, il est dû à quoi ? Plus de centres de formation, plus de motivation ?

    Il y a toujours eu des formations, que ce soit des ateliers, des masterclass, des écoles… Je pense que c’est surtout que la parole commence à se libérer, qu’on commence à les écouter, à leur laisser prendre le plus de place. Il n’empêche que, face aux opportunités, il y a encore des inégalités. Tout cela, c’est un problème systémique, à plusieurs facettes. La réponse est plurielle, mais je pense que, dans les centres de formation, on respecte aussi de plus en plus la parité, que ce soit pour les élèves ou pour les formateurs. Forcément, cela a un impact. Aussi, les jeunes femmes ont de plus en plus de modèles, elles s’identifient, elles se disent : « Pour moi aussi, c’est possible ». Elles osent plus facilement passer le cap en se disant : « Ce sont des voies, ce sont des filières possibles pour moi ». Surtout, les femmes savent qu’elles vont, de toute façon, devoir mettre beaucoup plus d’énergie, c’est encore la réalité, pour arriver au même poste. Elles sont juste encore plus battantes, encore plus motivées. Elles sont conscientes d’une chance et d’une opportunité qu’elles ne veulent pas laisser passer.

    Vous parliez d’inégalités. À quelles inégalités font face les femmes du 7e art africain ?

    Les difficultés auxquelles elles font face sont générales dans tout le métier et dans toute l’industrie. Elles touchent tous les corps de métier, elles touchent tous les salaires, la reconnaissance des statuts, un manque de soutien social, les préjugés de ces filières métiers vis-à-vis des familles. Elles sont vraiment à tous les niveaux. Ce sont des difficultés qui touchent autant les femmes que les hommes.

    Emma Sangaré, vous êtes codirectrice de l’école Kourtrajmé à Dakar, école de cinéma. Est-ce que, depuis quelques années, vous avez constaté cette tendance des femmes à se diriger vers le cinéma ?

    Dans les appels à candidature, on voit évidemment une différence. On reçoit plus de candidatures d’hommes, mais, en même temps, ce qui est positif, c’est que, en trois ans, on voit une évolution et surtout de plus en plus de femmes qui postulent, qui postulent au-delà du Sénégal. On a des élèves, des jeunes femmes, qui viennent de plusieurs pays de la sous-région. On voit vraiment cette évolution. Nous, dans nos sélections, on respecte et on fait très attention à la parité. Même parmi nos enseignants et nos formateurs, c’est important pour nous qu’il y ait des femmes enseignantes, parce qu’on transmet les choses différemment. Ce sont des métiers créatifs, il faut avoir différents points de vue, celui des femmes est tout aussi important.

    Et justement, ce point de vue, quand on connait les différentes séries, c’est important d’avoir des femmes qui jouent, qui réalisent, qui écrivent pour d’autres femmes spectatrices ?

    Bien sûr ! Je pense que, quand il s’agit de raconter des histoires féminines, pour toucher des spectatrices féminines, les femmes sont les mieux placées pour raconter ces histoires d’un point de vue de l’intime et de caractériser des personnages dans lesquelles les spectatrices vont s’identifier. C’est évident. Je pense, entre autres, à tout le travail que fait Kalista Sy. C’est une femme productrice, elle travaille sur des histoires de femmes, elle met en avant tous les postes de femmes. C’est un vrai exemple pour les jeunes femmes, c’est un vrai mentor.

    À écouter aussi«Un cinéma africain marqué par des films de l’intime et une prise de pouvoir des femmes»

    Thu, 16 May 2024
  • 955 - Togo: «Le changement de régime vise à prolonger le mandat de Faure Gnassingbé indéfiniment»

    Au Togo, le président Faure Gnassingbé est assuré de rester au pouvoir après la victoire de son parti aux législatives du 29 avril, mais à condition de changer de fauteuil. Suite au changement de Constitution, c'est le président du Conseil des ministres qui concentre désormais tous les pouvoirs. Pourquoi Faure Gnassingbé a-t-il fait adopter cette réforme ? Et pourquoi l'opposition n'a-t-elle pas réussi à l'en empêcher ? Entretien avec Bergès Mietté, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde, à Sciences Po Bordeaux, dans le sud-ouest de la France.

    RFI : Pourquoi Faure Gnassingbé est-il passé à un régime parlementaire, 19 ans après son arrivée au pouvoir ?

    Bergès Mietté : Je pense que, sur cette question, il y a plusieurs raisons qui ont présidé au changement de régime au Togo. Selon le président, ce système, ce régime permet plus de représentativité des différentes sensibilités politiques du pays. Il permet aussi de consolider les acquis démocratiques. Et je pense qu’il y a une autre raison à cela, une raison principale. C’est que Faure Gnassingbé voulait se porter candidat à l’élection présidentielle en 2025, sauf qu’à l’issue de ce quinquennat, il ne pouvait plus prétendre à la magistrature suprême. Ce changement de régime visait, en réalité, à prolonger le mandat du président en exercice indéfiniment. Je pense que c’est l’une des principales raisons de ce changement de régime.

    Parce que Faure Gnassingbé ne sera plus président de la République, mais président du Conseil des ministres, c’est cela ?

    Oui, je pense que ce poste de président du Conseil des ministres a été taillé pour le président en exercice.

    Et pour un mandat de six ans qui sera renouvelable autant de fois que son parti gagnera les législatives ?

    Oui, tout à fait.

    Alors, désormais, il va donc y avoir un président de la République et un président du Conseil des ministres. Mais est-ce que cela ne va pas instaurer une dualité, voire une rivalité, au sommet de l’État ?

    Je ne pense pas qu’il y aura une réelle dualité au sommet de l’État puisque, selon la Constitution qui a été promulguée récemment, le chef de l’État, élu par les députés pour un mandat de quatre ans, ne dispose, pour ainsi dire, d’aucun pouvoir. La réalité du pouvoir est entre les mains du président du Conseil des ministres. Donc, pas vraiment de dualité du pouvoir au sommet de l’État.

    Selon la Cour constitutionnelle, le parti au pouvoir Unir a remporté les élections législatives avec plus de 95 % des voix. Que vous inspirent ces résultats ?

    Je pense que cette victoire écrasante est, pour ma part, sans surprise. Elle était requise pour pouvoir entériner le projet de changement de régime visant à assurer et garantir l’inamovibilité du président Faure Gnassingbé à travers le poste de président du Conseil des ministres. À bien des égards, cette victoire consacre, plus que jamais, l’emprise du président et de son parti sur le pays.

    Alors, le parti au pouvoir Unir affirme que ces résultats sont le fruit d’un travail de terrain, y compris dans le sud, à Lomé, le fief habituel de l’opposition. Mais celle-ci réplique que ces résultats sont le fruit de bourrages d’urnes et de votes massifs par procuration.

    L’opposition a voulu faire des législatives du 29 avril un référendum contre le projet du changement de régime porté par le parti présidentiel, mais n’y est pas parvenue. Et à cela, plusieurs raisons : tout d’abord, dans les bastions traditionnels de l’opposition, certains citoyens n’avaient pas pu s’enrôler durant la phase d’inscription sur les listes électorales. Une pratique que les partis d’opposition avaient d’ailleurs dénoncée. Ensuite, l’opposition n’est pas parvenue à rassembler ces partisans, sans doute faute de moyen, à la différence du parti présidentiel. Ou alors, son programme n’a pas séduit suffisamment d’électeurs. Enfin, l’adoption de la nouvelle Constitution à la veille du scrutin a eu un réel impact, aussi bien sur l’opposition que sur les citoyens, désormais résignés. Ce qui explique, entre autres, la faible participation des citoyens à ce scrutin. Ce qui a laissé champs-libre au parti présidentiel.

    Il y a cette phrase de l’un des leaders de l’opposition, Dodji Apevon, des Forces démocratiques pour la République : « À cause de nos difficultés et de nos querelles, le parti au pouvoir en profite toujours pour truquer et pour voler. »

    Je pense que les propos de M. Apevon sont très pertinents puisque les clivages au sein de l’opposition sont une réalité, une réalité très criarde et que, ces clivages n’ont pas permis à l’opposition de pouvoir s’organiser, de constituer des coalitions pour mener à bien cette campagne électorale. Les clivages ont joué dans le triomphe du parti au pouvoir. Il y a aussi la question des moyens, qui ne permet pas à l’opposition de pouvoir se mobiliser durant le processus électoral, à la différence du parti au pouvoir qui dispose de ressources beaucoup plus importantes.

    À l’issue du scrutin, la Cédéao, l’Union africaine et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont exprimé leur satisfaction sur – je cite – le bon déroulement de la campagne et la tenue des élections dans le calme. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

    Je pense que les propos de ces organisations internationales ne sont pas surprenants, puisque, alors même que l’opposition dénonçait des irrégularités durant le processus d’enrôlement sur les listes électorales, on a bien vu l’OIF qui a confirmé la fiabilité du fichier électoral, ce que dénonçait l’opposition à l’époque. Dans un contexte où l’on sait que les élections ont eu lieu quasiment à huit-clos, puisque les observateurs internationaux n’ont pas pu obtenir à temps, pour la plupart, les accréditations pour pouvoir observer de bout en bout ce processus électoral, c’est quand même assez curieux que ces organisations internationales se félicitent du bon déroulement de ces élections.

    Est-ce à dire que l’opposition togolaise est isolée sur la scène internationale ?

    Tout à fait. Je pense que l’opposition togolaise est à la croisée des chemins et qu’aujourd’hui elle n’a aucune alternative.

    À la différence de Faure Gnassingbé, le président togolais, qui multiplie les médiations sur la scène sous-régionale ?

    Oui, tout à fait. Je pense que le président Faure Gnassingbé a mis en place une politique assez intéressante sur la scène internationale puisque, à la différence de ses homologues ouest-africains, il arrive à faire l’entre-deux, à communiquer avec les pays faisant partie de l’Alliance des États du Sahel (AES) qui sont en rupture avec d’autres pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Je pense que le régime togolais arrive à concilier le discours avec l’action gouvernementale puisque le discours de paix prôné par le régime togolais trouve son écho à travers la politique sous-régionale du président, à travers les rencontres et le dialogue qu’il initie notamment avec les régimes putschistes d’Afrique de l’Ouest.

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    Wed, 15 May 2024
  • 954 - «Il y a une sorte de continuité dans l'action de la diplomatie sénégalaise»

    Le Sénégal est sur tous les fronts. D'un côté, le président Diomaye Faye est allé la semaine dernière en Côte d'Ivoire. De l'autre, le Premier ministre Ousmane Sonko espère se rendre bientôt dans les trois pays de l'Alliance des États du Sahel. Est-ce à dire que les nouveaux dirigeants sénégalais vont tenter une médiation entre la Cédéao et les trois États sahéliens qui ont quitté l'organisation ouest-africaine ? Entretien avec le chercheur sénégalais Pape Ibrahima Kane, spécialiste des questions régionales en Afrique.

    RFI : La visite du président Bassirou Diomaye Faye à Abidjan, est-ce le signe que le nouveau régime sénégalais va poursuivre la politique de Macky Sall à l’égard de ses voisins d’Afrique de l’Ouest ?

    Pape Ibrahima Kane : Tout à fait. Je pense que, pour ce qui concerne la diplomatie sénégalaise, on est dans une sorte de continuité, plutôt que dans une sorte de transformation systémique. Ce que Diomaye est en train de faire, c’est ce que Senghor a fait, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall ont fait. On est vraiment dans une sorte de continuité et on est en train de montrer que l’un des atouts majeurs du Sénégal, c’est sa diplomatie, c’est le rôle qu’il peut jouer dans les relations aussi bien inter-africaines que dans les relations internationales.

    Oui, mais jusqu’à présent, les présidents Alassane Ouattara et Bassirou Diomaye Faye n’étaient pas de grands amis politiques. En juillet dernier, quand Macky Sall avait renoncé à un troisième mandat, Alassane Ouattara lui avait exprimé son désaccord et cela, bien entendu, Bassirou Diomaye Faye le sait. Comment expliquez-vous que la Côte d’Ivoire soit l’une des premières destinations du nouveau président sénégalais ?

    D’abord, parce que la Côte d’Ivoire, au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), c’est la première puissance économique. Parce qu’également, au niveau de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), la Côte d’Ivoire est la deuxième puissance après le Nigeria. Et ensuite, il y a une forte communauté sénégalaise qui est établie depuis très longtemps en Côte d’Ivoire. Tout cela fait que le Sénégal est obligé d’entendre la voix de la Côte d’Ivoire, surtout quand ces autorités sénégalaises veulent jouer un rôle important dans le retour des trois pays du Sahel central qui avaient décidé de quitter la Cédéao. Je pense qu’il est nécessaire de savoir ce qui est en jeu pour vraiment pouvoir discuter sérieusement avec les dirigeants du Mali et pouvoir les convaincre de retourner dans la maison du père.

    Justement, deux jours avant la visite du président Diomaye Faye à Abidjan, le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé qu’il se rendrait bientôt en Guinée, au Mali, au Niger et au Burkina Faso, les quatre pays sous régime putschiste. Est-ce qu’on peut parler, de la part du Sénégal, d’un double-jeu diplomatique ?

    Non, pas du tout. D’abord, la diplomatie, c’est le domaine réservé du président de la République. Même si c’est Sonko qui va devoir se déplacer dans ces quatre pays, il le fait au nom du président de la République et il sera accompagné de la ministre des Affaires étrangères. Je pense que ce que le président Diomaye est en train de faire, parce que Sonko a une certaine proximité avec certains leaders de ces pays, c’est de l’envoyer en éclaireur, avoir un aperçu de ce que ces États reprochent à la Cédéao, aux dirigeants de la sous-région, pour pouvoir jouer le rôle qu’il lui revient, c’est-à-dire jouer les intermédiaires, faire en sorte qu’il y ait des discussions sérieuses sur des points qui sont soulignés par ces pays et les régler dans la meilleure des façons pour que la Cédéao continue d’être la région de référence au niveau de l’Afrique. Je pense que c’est plus une démarche cohérente… L’envoi de M. Sonko me paraît très utile parce qu’à ce moment-là, quand Diomaye pourra entrer dans le jeu, il pourra jouer un rôle. Parce que, s’il y va et qu’il échoue, cela veut dire qu’il n’y a plus de possibilité pour le Sénégal de jouer un rôle. Je pense que c’est quand même intelligent. Cela n’a rien à voir avec les relations avec les putschistes. Parce que, dans la tête des dirigeants sénégalais, le putsch… et ils l’ont dit quand Macky Sall avait agité l’idée que l’armée pouvait jouer un rôle, ils ne veulent en aucun cas que les militaires dirigent les États africains.

    À Abidjan, le président Diomaye Faye a donc dit tout le bien qu’il pensait de la Cédéao, « un outil formidable d’intégration » a-t-il dit, que « nous gagnerons à préserver », a-t-il même ajouté. Alors, avec quels arguments Diomaye Faye et Ousmane Sonko vont-ils pouvoir convaincre le Mali, le Burkina Faso, le Niger de ne pas quitter l’organisation ouest-africaine ?

    Ce que la Cédéao a réussi, c’est que c’est la première et la plus importante communauté économique régionale africaine, qui a réussi la libre circulation des personnes et des biens. Certes, la Cédéao a beaucoup de problèmes institutionnels. Par exemple, la question des sanctions est une question fondamentale dans la recherche de solutions à ces problèmes. Le régime de sanctions que la Cédéao a n’est pas un régime de sanction que l’on peut appliquer comme cela, à la va-vite, à la tête du client. Il faut que l’on révise le système dans le sens que les sanctions puissent servir à quelque chose de tangible, mais pas pour sanctionner des individus et autres. Tout cela me fait penser qu’aujourd’hui, il y a d’énormes possibilités de faire en sorte que ces dirigeants reviennent à la maison du père. D’autant que, personnellement, je pense qu’ils ont pris cette décision simplement pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas des béni-oui-oui et qu’ils sont dans une posture de « bargaining », comme le disent les anglophones, pour pouvoir revenir, mais dans d’autres conditions, pour pouvoir continuer à travailler pour l’intégration régionale africaine.

    Il y a un chef d’État putschiste avec lequel Ousmane Sonko a une relation complexe, c’est le capitaine burkinabè Ibrahim Traoré. Après le putsch de septembre 2022 à Ouagadougou, les deux hommes étaient proches. Mais après l’arrestation de l’avocat burkinabé Guy-Hervé Kam et la lettre ouverte d’Ousmane Sonko en faveur de sa libération, les relations Sonko-Traoré se sont dégradées. Est-ce que vous pensez que le Premier ministre sénégalais va vraiment être invité à Ouagadougou ?

    Vous savez, jusqu’à présent, le Burkina Faso et le Sénégal ont eu d’excellentes relations. Je pense que Sonko et le président Traoré ne peuvent agir que dans la continuité de ces relations. Même s’ils ont eu, par le passé, des difficultés entre eux, maintenant, il s’agit de relations d’État à État, et non d’individu à parti politique. Donc, cela change la dynamique. Je pense que le passé est le passé. Ici, maintenant, on est dans le dur… On est dans le sauvetage de la Cédéao et cela est plus important que les relations personnelles que les uns et les autres ont eues par le passé.

    On connaît les projets du Pastef pour en finir avec le franc CFA. Et pourtant, lors de leur conférence de presse à Abidjan, Alassane Ouattara et Bassirou Diomaye Faye n’ont pas prononcé une seule fois les mots « franc CFA ». Pourquoi ?

    Je pense qu’ils n’ont pas pu ne pas avoir discuté de cette question… Mais peut-être qu’ils se sont entendus pour qu’on ne puisse pas, dans le communiqué final, en parler. Parce que, même du point de vue du Pastef, actuellement, il y a peut-être une certaine évolution… Vous savez, quand on est dans l’opposition et qu’on est à la quête du pouvoir, on peut avoir des postures sur telle ou telle question. Mais à partir du moment où on a les clés de l’État entre les mains, où on est obligé de décider sur telle ou telle question, les positions sont obligées de changer. Je pense que Diomaye l’a lui-même dit, une fois, lors de l’un de ces discours, qu’il va progressivement travailler pour qu’on retrouve notre souveraineté monétaire.

    Le mot important étant « progressivement » ?

    Tout à fait.

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    Tue, 14 May 2024
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