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- 958 - Philippe Lacôte: «Le cinéma du monde n’est pas un genre. II faut essayer d'être plus authentique»
Le grand invité Afrique de ce matin est le réalisateur ivoirien Philippe Lacôte, parrain de la Fabrique du cinéma 2024 à Cannes, une initiative qui vise à aider la production des pays émergents, et ce depuis seize ans maintenant. Dix projets diversifiés de films ont été sélectionnés pour bénéficier de l'aide à la production. C'est l'occasion d'échanger avec le parrain de la Fabrique sur son parcours cinématographique, son pays et les jeunes créateurs qu'il va accompagner.
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Sat, 18 May 2024 - 957 - Femua: «En dehors de la musique, on peut être un pion essentiel pour le développement de son pays»
Salif Traoré, dit A'Salfo, leader du groupe Magic Systèm, est délégué général du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), dont on fête la seizième édition. Un événement devenu une référence sur le continent africain par la qualité de sa programmation : Gims, Yémi Aladé, Sona Jobarteh, Tamsir partagent notamment la grande scène... mais il est surtout réputé pour son engagement permanent dans le développement social, économique et diplomatique, avec cette année, le thème de la santé mentale chez les jeunes. Entretien.
RFI : Musique, social… Pourquoi le Femua doit être intégré à la société ?
Salif Traoré : Quand on est artiste, on vit constamment engagé, parce qu’on a envie de dire des choses, on a la chance de faire l’un des plus beaux métiers du monde, qui est un canal pour promouvoir des valeurs… On a envie d’apporter notre contribution, on a envie d’apporter notre grain de sel. C’est ce qui nous amène à créer des activités qui peuvent être transversales entre la musique et tout ce qui peut contribuer au bien-être des populations.
À quel moment avez-vous compris que la musique, c’est de la politique ?
On l’a compris un peu trop tôt parce qu’il fallait sortir de ce canal. Le musicien, ce n’est pas seulement celui qui vient sur scène pour faire danser. Le musicien a un métier qui lui permet de s’adresser à tout le monde sans barrière linguistique, sans appartenance politique ni obédience religieuse. Il parle à tout le monde sans distinction. Il a une force et cette force, il peut l’utiliser à bon escient : contribuer à l’éducation, à promouvoir la paix, à promouvoir la cohésion sociale. En dehors de la musique, on peut être vraiment un pion essentiel pour le développement de son pays, quand on le veut. La classe politique écoute aussi quand nous avons des projets. Si on dit à la classe politique « on va chanter, on va danser », alors elle nous regardera chanter et danser.
Justement, cette année, un thème fondamental : la santé mentale chez les jeunes. Comment vous est venue cette idée ?
C’était important. Lors d’une visite à l’hôpital psychiatrique de Bingerville, j’ai vu ce qu’il se passait autour et j’ai parlé avec certaines personnes qui disaient que les gens les traitaient de « fous » alors que, généralement, ce ne sont pas des gens qui sont nécessairement dans la folie. Souvent, ce manque d’attention, ça les amène à se renfermer sur eux. Et puis, beaucoup de jeunes, aujourd’hui, sont confrontés à des difficultés qui les amènent souvent à emprunter des chemins qui ne sont pas forcément les meilleurs… La drogue, l’alcool, peuvent être des facteurs qui les amènent à développer cette pathologie. Souvent, ils ont besoin d’être écoutés, entendus. Si on dit que la richesse de l’Afrique, c’est sa démographie qui est à 70 % composée de jeunes, il faudrait aussi que l’on s’intéresse aussi aux problèmes de ces jeunes. Sinon, l’avantage de l’Afrique risque de devenir un inconvénient pour ce continent.
Est-ce qu’aujourd’hui, vous arrivez à chiffrer l’impact économique du festival, chaque année ?
Les données sont là, au bout de quinze années. Le groupe Magic System a pu offrir, avec le Femua, entre 12 000 et 15 000 emplois directs et indirects à travers le Femua. Il y a dix écoles qui ont été construites et deux en construction. Pendant le Femua, le taux de remplissage des hôtels augmente, les taxis roulent toute la nuit, les petits commerçants qui sont aux bords des routes vendent toute la nuit. Donc, il y a un fort impact économique. Et puis, cerise sur le gâteau, cela crée de la cohésion sociale. Aujourd’hui, le Femua est devenu comme une Coupe d’Afrique de la culture, cela crée de l’intégration aussi entre les pays africains. La preuve en est, la Guinée-Bissau cette année. Il y a des retombées qui sont incalculables.
Vous citez la Guinée-Bissau, qui est le pays invité. Là encore, ce festival, c'est de la diplomatie pure.
C’est de la diplomatie culturelle. Parce que la culture n’a pas de langue, comme on dit. C’est pourquoi la Guinée-Bissau, qui est un pays lusophone, se trouve aujourd’hui dans l’un des plus grands festivals francophones. Je crois que le Femua joue aussi son rôle, la musique joue son rôle, mais avec subtilité.
Pour terminer cet entretien, Salif Traoré, la question la plus difficile : quel est votre coup de cœur pour cette 16e édition du Femua ?
Pour le coup de cœur, je suis partagé entre Sona Jobarteh, qui est l’une des meilleures koralistes du monde… Elle tourne partout. J’ai trouvé qu’elle était plus à l’extérieur qu’en Afrique et qu’il fallait avoir Sona Jobarteh. Et il y a aussi Tamsir, qui est une étoile montante et qui fait là une de ses premières grandes scènes. Ce sont mes deux coups de cœur. Ce sont ceux-là que j’attends de voir.
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Fri, 17 May 2024 - 956 - Cinéma en Afrique: «Les femmes participent à l'essor de l'industrie», dit Emma Sangaré
Le Festival de Cannes donne lieu à des projections cinématographiques, mais aussi à des rencontres et des forums sur le Septième art. Ce jeudi se tient un débat sur la place des femmes dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel au « Pavillon Afriques ». Débat auquel participeront des réalisatrices, des productrices, des actrices, ainsi qu’Emma Sangaré, co-directrice de l’école de cinéma Kourtrajmé à Dakar, au Sénégal. Entretien.
RFI : On assiste, en ce moment, à un essor du cinéma africain, et notamment des productions télévisuelles. Est-ce que les femmes participent à ce mouvement ?
Emma Sangaré : Bien sûr que les femmes participent à l’essor de la production, de tout le développement et de la structuration de l’industrie du cinéma en Afrique. Premièrement, en étant représentées à tous les postes, elles prennent de plus en plus en place. Je pense à Kalista, Angèle, Chloé, productrices, à des réalisatrices comme Amina, Mariam, à des scriptes, à des techniciennes, des scénaristes, des formatrices, des actrices… Elles sont là, à tous les postes et de plus en plus présentes. On voit une vraie différence depuis quelques années.
Cet essor des femmes africaines dans le cinéma, il est dû à quoi ? Plus de centres de formation, plus de motivation ?
Il y a toujours eu des formations, que ce soit des ateliers, des masterclass, des écoles… Je pense que c’est surtout que la parole commence à se libérer, qu’on commence à les écouter, à leur laisser prendre le plus de place. Il n’empêche que, face aux opportunités, il y a encore des inégalités. Tout cela, c’est un problème systémique, à plusieurs facettes. La réponse est plurielle, mais je pense que, dans les centres de formation, on respecte aussi de plus en plus la parité, que ce soit pour les élèves ou pour les formateurs. Forcément, cela a un impact. Aussi, les jeunes femmes ont de plus en plus de modèles, elles s’identifient, elles se disent : « Pour moi aussi, c’est possible ». Elles osent plus facilement passer le cap en se disant : « Ce sont des voies, ce sont des filières possibles pour moi ». Surtout, les femmes savent qu’elles vont, de toute façon, devoir mettre beaucoup plus d’énergie, c’est encore la réalité, pour arriver au même poste. Elles sont juste encore plus battantes, encore plus motivées. Elles sont conscientes d’une chance et d’une opportunité qu’elles ne veulent pas laisser passer.
Vous parliez d’inégalités. À quelles inégalités font face les femmes du 7e art africain ?
Les difficultés auxquelles elles font face sont générales dans tout le métier et dans toute l’industrie. Elles touchent tous les corps de métier, elles touchent tous les salaires, la reconnaissance des statuts, un manque de soutien social, les préjugés de ces filières métiers vis-à-vis des familles. Elles sont vraiment à tous les niveaux. Ce sont des difficultés qui touchent autant les femmes que les hommes.
Emma Sangaré, vous êtes codirectrice de l’école Kourtrajmé à Dakar, école de cinéma. Est-ce que, depuis quelques années, vous avez constaté cette tendance des femmes à se diriger vers le cinéma ?
Dans les appels à candidature, on voit évidemment une différence. On reçoit plus de candidatures d’hommes, mais, en même temps, ce qui est positif, c’est que, en trois ans, on voit une évolution et surtout de plus en plus de femmes qui postulent, qui postulent au-delà du Sénégal. On a des élèves, des jeunes femmes, qui viennent de plusieurs pays de la sous-région. On voit vraiment cette évolution. Nous, dans nos sélections, on respecte et on fait très attention à la parité. Même parmi nos enseignants et nos formateurs, c’est important pour nous qu’il y ait des femmes enseignantes, parce qu’on transmet les choses différemment. Ce sont des métiers créatifs, il faut avoir différents points de vue, celui des femmes est tout aussi important.
Et justement, ce point de vue, quand on connait les différentes séries, c’est important d’avoir des femmes qui jouent, qui réalisent, qui écrivent pour d’autres femmes spectatrices ?
Bien sûr ! Je pense que, quand il s’agit de raconter des histoires féminines, pour toucher des spectatrices féminines, les femmes sont les mieux placées pour raconter ces histoires d’un point de vue de l’intime et de caractériser des personnages dans lesquelles les spectatrices vont s’identifier. C’est évident. Je pense, entre autres, à tout le travail que fait Kalista Sy. C’est une femme productrice, elle travaille sur des histoires de femmes, elle met en avant tous les postes de femmes. C’est un vrai exemple pour les jeunes femmes, c’est un vrai mentor.
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Thu, 16 May 2024 - 955 - Togo: «Le changement de régime vise à prolonger le mandat de Faure Gnassingbé indéfiniment»
Au Togo, le président Faure Gnassingbé est assuré de rester au pouvoir après la victoire de son parti aux législatives du 29 avril, mais à condition de changer de fauteuil. Suite au changement de Constitution, c'est le président du Conseil des ministres qui concentre désormais tous les pouvoirs. Pourquoi Faure Gnassingbé a-t-il fait adopter cette réforme ? Et pourquoi l'opposition n'a-t-elle pas réussi à l'en empêcher ? Entretien avec Bergès Mietté, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde, à Sciences Po Bordeaux, dans le sud-ouest de la France.
RFI : Pourquoi Faure Gnassingbé est-il passé à un régime parlementaire, 19 ans après son arrivée au pouvoir ?
Bergès Mietté : Je pense que, sur cette question, il y a plusieurs raisons qui ont présidé au changement de régime au Togo. Selon le président, ce système, ce régime permet plus de représentativité des différentes sensibilités politiques du pays. Il permet aussi de consolider les acquis démocratiques. Et je pense qu’il y a une autre raison à cela, une raison principale. C’est que Faure Gnassingbé voulait se porter candidat à l’élection présidentielle en 2025, sauf qu’à l’issue de ce quinquennat, il ne pouvait plus prétendre à la magistrature suprême. Ce changement de régime visait, en réalité, à prolonger le mandat du président en exercice indéfiniment. Je pense que c’est l’une des principales raisons de ce changement de régime.
Parce que Faure Gnassingbé ne sera plus président de la République, mais président du Conseil des ministres, c’est cela ?
Oui, je pense que ce poste de président du Conseil des ministres a été taillé pour le président en exercice.
Et pour un mandat de six ans qui sera renouvelable autant de fois que son parti gagnera les législatives ?
Oui, tout à fait.
Alors, désormais, il va donc y avoir un président de la République et un président du Conseil des ministres. Mais est-ce que cela ne va pas instaurer une dualité, voire une rivalité, au sommet de l’État ?
Je ne pense pas qu’il y aura une réelle dualité au sommet de l’État puisque, selon la Constitution qui a été promulguée récemment, le chef de l’État, élu par les députés pour un mandat de quatre ans, ne dispose, pour ainsi dire, d’aucun pouvoir. La réalité du pouvoir est entre les mains du président du Conseil des ministres. Donc, pas vraiment de dualité du pouvoir au sommet de l’État.
Selon la Cour constitutionnelle, le parti au pouvoir Unir a remporté les élections législatives avec plus de 95 % des voix. Que vous inspirent ces résultats ?
Je pense que cette victoire écrasante est, pour ma part, sans surprise. Elle était requise pour pouvoir entériner le projet de changement de régime visant à assurer et garantir l’inamovibilité du président Faure Gnassingbé à travers le poste de président du Conseil des ministres. À bien des égards, cette victoire consacre, plus que jamais, l’emprise du président et de son parti sur le pays.
Alors, le parti au pouvoir Unir affirme que ces résultats sont le fruit d’un travail de terrain, y compris dans le sud, à Lomé, le fief habituel de l’opposition. Mais celle-ci réplique que ces résultats sont le fruit de bourrages d’urnes et de votes massifs par procuration.
L’opposition a voulu faire des législatives du 29 avril un référendum contre le projet du changement de régime porté par le parti présidentiel, mais n’y est pas parvenue. Et à cela, plusieurs raisons : tout d’abord, dans les bastions traditionnels de l’opposition, certains citoyens n’avaient pas pu s’enrôler durant la phase d’inscription sur les listes électorales. Une pratique que les partis d’opposition avaient d’ailleurs dénoncée. Ensuite, l’opposition n’est pas parvenue à rassembler ces partisans, sans doute faute de moyen, à la différence du parti présidentiel. Ou alors, son programme n’a pas séduit suffisamment d’électeurs. Enfin, l’adoption de la nouvelle Constitution à la veille du scrutin a eu un réel impact, aussi bien sur l’opposition que sur les citoyens, désormais résignés. Ce qui explique, entre autres, la faible participation des citoyens à ce scrutin. Ce qui a laissé champs-libre au parti présidentiel.
Il y a cette phrase de l’un des leaders de l’opposition, Dodji Apevon, des Forces démocratiques pour la République : « À cause de nos difficultés et de nos querelles, le parti au pouvoir en profite toujours pour truquer et pour voler. »
Je pense que les propos de M. Apevon sont très pertinents puisque les clivages au sein de l’opposition sont une réalité, une réalité très criarde et que, ces clivages n’ont pas permis à l’opposition de pouvoir s’organiser, de constituer des coalitions pour mener à bien cette campagne électorale. Les clivages ont joué dans le triomphe du parti au pouvoir. Il y a aussi la question des moyens, qui ne permet pas à l’opposition de pouvoir se mobiliser durant le processus électoral, à la différence du parti au pouvoir qui dispose de ressources beaucoup plus importantes.
À l’issue du scrutin, la Cédéao, l’Union africaine et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont exprimé leur satisfaction sur – je cite – le bon déroulement de la campagne et la tenue des élections dans le calme. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je pense que les propos de ces organisations internationales ne sont pas surprenants, puisque, alors même que l’opposition dénonçait des irrégularités durant le processus d’enrôlement sur les listes électorales, on a bien vu l’OIF qui a confirmé la fiabilité du fichier électoral, ce que dénonçait l’opposition à l’époque. Dans un contexte où l’on sait que les élections ont eu lieu quasiment à huit-clos, puisque les observateurs internationaux n’ont pas pu obtenir à temps, pour la plupart, les accréditations pour pouvoir observer de bout en bout ce processus électoral, c’est quand même assez curieux que ces organisations internationales se félicitent du bon déroulement de ces élections.
Est-ce à dire que l’opposition togolaise est isolée sur la scène internationale ?
Tout à fait. Je pense que l’opposition togolaise est à la croisée des chemins et qu’aujourd’hui elle n’a aucune alternative.
À la différence de Faure Gnassingbé, le président togolais, qui multiplie les médiations sur la scène sous-régionale ?
Oui, tout à fait. Je pense que le président Faure Gnassingbé a mis en place une politique assez intéressante sur la scène internationale puisque, à la différence de ses homologues ouest-africains, il arrive à faire l’entre-deux, à communiquer avec les pays faisant partie de l’Alliance des États du Sahel (AES) qui sont en rupture avec d’autres pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Je pense que le régime togolais arrive à concilier le discours avec l’action gouvernementale puisque le discours de paix prôné par le régime togolais trouve son écho à travers la politique sous-régionale du président, à travers les rencontres et le dialogue qu’il initie notamment avec les régimes putschistes d’Afrique de l’Ouest.
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Wed, 15 May 2024 - 954 - «Il y a une sorte de continuité dans l'action de la diplomatie sénégalaise»
Le Sénégal est sur tous les fronts. D'un côté, le président Diomaye Faye est allé la semaine dernière en Côte d'Ivoire. De l'autre, le Premier ministre Ousmane Sonko espère se rendre bientôt dans les trois pays de l'Alliance des États du Sahel. Est-ce à dire que les nouveaux dirigeants sénégalais vont tenter une médiation entre la Cédéao et les trois États sahéliens qui ont quitté l'organisation ouest-africaine ? Entretien avec le chercheur sénégalais Pape Ibrahima Kane, spécialiste des questions régionales en Afrique.
RFI : La visite du président Bassirou Diomaye Faye à Abidjan, est-ce le signe que le nouveau régime sénégalais va poursuivre la politique de Macky Sall à l’égard de ses voisins d’Afrique de l’Ouest ?
Pape Ibrahima Kane : Tout à fait. Je pense que, pour ce qui concerne la diplomatie sénégalaise, on est dans une sorte de continuité, plutôt que dans une sorte de transformation systémique. Ce que Diomaye est en train de faire, c’est ce que Senghor a fait, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall ont fait. On est vraiment dans une sorte de continuité et on est en train de montrer que l’un des atouts majeurs du Sénégal, c’est sa diplomatie, c’est le rôle qu’il peut jouer dans les relations aussi bien inter-africaines que dans les relations internationales.
Oui, mais jusqu’à présent, les présidents Alassane Ouattara et Bassirou Diomaye Faye n’étaient pas de grands amis politiques. En juillet dernier, quand Macky Sall avait renoncé à un troisième mandat, Alassane Ouattara lui avait exprimé son désaccord et cela, bien entendu, Bassirou Diomaye Faye le sait. Comment expliquez-vous que la Côte d’Ivoire soit l’une des premières destinations du nouveau président sénégalais ?
D’abord, parce que la Côte d’Ivoire, au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), c’est la première puissance économique. Parce qu’également, au niveau de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), la Côte d’Ivoire est la deuxième puissance après le Nigeria. Et ensuite, il y a une forte communauté sénégalaise qui est établie depuis très longtemps en Côte d’Ivoire. Tout cela fait que le Sénégal est obligé d’entendre la voix de la Côte d’Ivoire, surtout quand ces autorités sénégalaises veulent jouer un rôle important dans le retour des trois pays du Sahel central qui avaient décidé de quitter la Cédéao. Je pense qu’il est nécessaire de savoir ce qui est en jeu pour vraiment pouvoir discuter sérieusement avec les dirigeants du Mali et pouvoir les convaincre de retourner dans la maison du père.
Justement, deux jours avant la visite du président Diomaye Faye à Abidjan, le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé qu’il se rendrait bientôt en Guinée, au Mali, au Niger et au Burkina Faso, les quatre pays sous régime putschiste. Est-ce qu’on peut parler, de la part du Sénégal, d’un double-jeu diplomatique ?
Non, pas du tout. D’abord, la diplomatie, c’est le domaine réservé du président de la République. Même si c’est Sonko qui va devoir se déplacer dans ces quatre pays, il le fait au nom du président de la République et il sera accompagné de la ministre des Affaires étrangères. Je pense que ce que le président Diomaye est en train de faire, parce que Sonko a une certaine proximité avec certains leaders de ces pays, c’est de l’envoyer en éclaireur, avoir un aperçu de ce que ces États reprochent à la Cédéao, aux dirigeants de la sous-région, pour pouvoir jouer le rôle qu’il lui revient, c’est-à-dire jouer les intermédiaires, faire en sorte qu’il y ait des discussions sérieuses sur des points qui sont soulignés par ces pays et les régler dans la meilleure des façons pour que la Cédéao continue d’être la région de référence au niveau de l’Afrique. Je pense que c’est plus une démarche cohérente… L’envoi de M. Sonko me paraît très utile parce qu’à ce moment-là, quand Diomaye pourra entrer dans le jeu, il pourra jouer un rôle. Parce que, s’il y va et qu’il échoue, cela veut dire qu’il n’y a plus de possibilité pour le Sénégal de jouer un rôle. Je pense que c’est quand même intelligent. Cela n’a rien à voir avec les relations avec les putschistes. Parce que, dans la tête des dirigeants sénégalais, le putsch… et ils l’ont dit quand Macky Sall avait agité l’idée que l’armée pouvait jouer un rôle, ils ne veulent en aucun cas que les militaires dirigent les États africains.
À Abidjan, le président Diomaye Faye a donc dit tout le bien qu’il pensait de la Cédéao, « un outil formidable d’intégration » a-t-il dit, que « nous gagnerons à préserver », a-t-il même ajouté. Alors, avec quels arguments Diomaye Faye et Ousmane Sonko vont-ils pouvoir convaincre le Mali, le Burkina Faso, le Niger de ne pas quitter l’organisation ouest-africaine ?
Ce que la Cédéao a réussi, c’est que c’est la première et la plus importante communauté économique régionale africaine, qui a réussi la libre circulation des personnes et des biens. Certes, la Cédéao a beaucoup de problèmes institutionnels. Par exemple, la question des sanctions est une question fondamentale dans la recherche de solutions à ces problèmes. Le régime de sanctions que la Cédéao a n’est pas un régime de sanction que l’on peut appliquer comme cela, à la va-vite, à la tête du client. Il faut que l’on révise le système dans le sens que les sanctions puissent servir à quelque chose de tangible, mais pas pour sanctionner des individus et autres. Tout cela me fait penser qu’aujourd’hui, il y a d’énormes possibilités de faire en sorte que ces dirigeants reviennent à la maison du père. D’autant que, personnellement, je pense qu’ils ont pris cette décision simplement pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas des béni-oui-oui et qu’ils sont dans une posture de « bargaining », comme le disent les anglophones, pour pouvoir revenir, mais dans d’autres conditions, pour pouvoir continuer à travailler pour l’intégration régionale africaine.
Il y a un chef d’État putschiste avec lequel Ousmane Sonko a une relation complexe, c’est le capitaine burkinabè Ibrahim Traoré. Après le putsch de septembre 2022 à Ouagadougou, les deux hommes étaient proches. Mais après l’arrestation de l’avocat burkinabé Guy-Hervé Kam et la lettre ouverte d’Ousmane Sonko en faveur de sa libération, les relations Sonko-Traoré se sont dégradées. Est-ce que vous pensez que le Premier ministre sénégalais va vraiment être invité à Ouagadougou ?
Vous savez, jusqu’à présent, le Burkina Faso et le Sénégal ont eu d’excellentes relations. Je pense que Sonko et le président Traoré ne peuvent agir que dans la continuité de ces relations. Même s’ils ont eu, par le passé, des difficultés entre eux, maintenant, il s’agit de relations d’État à État, et non d’individu à parti politique. Donc, cela change la dynamique. Je pense que le passé est le passé. Ici, maintenant, on est dans le dur… On est dans le sauvetage de la Cédéao et cela est plus important que les relations personnelles que les uns et les autres ont eues par le passé.
On connaît les projets du Pastef pour en finir avec le franc CFA. Et pourtant, lors de leur conférence de presse à Abidjan, Alassane Ouattara et Bassirou Diomaye Faye n’ont pas prononcé une seule fois les mots « franc CFA ». Pourquoi ?
Je pense qu’ils n’ont pas pu ne pas avoir discuté de cette question… Mais peut-être qu’ils se sont entendus pour qu’on ne puisse pas, dans le communiqué final, en parler. Parce que, même du point de vue du Pastef, actuellement, il y a peut-être une certaine évolution… Vous savez, quand on est dans l’opposition et qu’on est à la quête du pouvoir, on peut avoir des postures sur telle ou telle question. Mais à partir du moment où on a les clés de l’État entre les mains, où on est obligé de décider sur telle ou telle question, les positions sont obligées de changer. Je pense que Diomaye l’a lui-même dit, une fois, lors de l’un de ces discours, qu’il va progressivement travailler pour qu’on retrouve notre souveraineté monétaire.
Le mot important étant « progressivement » ?
Tout à fait.
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Tue, 14 May 2024 - 953 - Suliman Baldo, chercheur soudanais: «Beaucoup de civils seront pris dans des feux croisés à el-Fasher»
Au Soudan, la ville d’el-Fasher, la plus grande du Darfour, est le théâtre depuis le 10 mai 2024 de violents affrontements à l’arme lourde. OCHA, le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU, décompte au moins 27 personnes tuées. El-Fasher est la seule ville du Darfour qui n’est pas encore tombée aux mains des Forces de soutien rapide du général Hemedti. Faut-il craindre que ces forces commettent un massacre à caractère ethnique, comme il y a un an à el-Geneina, une autre grande ville du Darfour ? Et pour stopper le général Hemedti, faut-il le menacer de poursuites judiciaires ? Le chercheur soudanais Suliman Baldo est le fondateur du centre de réflexions Sudan Policy and Transparency Tracker. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : La ville d’el-Fasher est-elle au bord d'un massacre à grande échelle, comme dit l'ambassadrice des États-Unis à l'ONU ?
Suliman Baldo : Il y a des soucis bien justifiés pour qu'on craigne que ce soit le cas effectivement. Or, si cette offensive a lieu, il y aura certainement des victimes civiles en grand nombre.
Des victimes dans quelle communauté ?
Je ne m’attends pas à ce que le scénario d’el-Geneina, à l'ouest du Darfour, se répète, c'est-à-dire que je ne crois pas qu'il y aura un ciblage ethnique contre des communautés particulières au sein de la ville. Cependant, el-Fasher est une ville de peut-être un million et demi d’habitants, la moitié desquels sont des déplacés de guerre, et donc les combats vont avoir lieu dans un milieu urbain dense. Donc il y aura beaucoup de civils qui seront pris dans les feux croisés des combats.
Alors vous rappelez ce qu’il s'était passé il y a un an à el-Geneina, la capitale du Darfour occidental. Là, il s'agissait vraiment d'un nettoyage ethnique ?
C'était certainement un nettoyage ethnique parce que c'était la communauté des Masalit qui était ciblée par les Forces de soutien rapide et les milices arabes alliées aux Forces de soutien rapide. Celles-ci se sont attaquées aux quartiers résidentiels où vivent les Masalit, en tuant des milliers d’entre eux. Et d'ailleurs, il y a un rapport de l'organisation internationale Human Rights Watch qui donne des témoignages de survivants. Là, il y a eu une campagne d'épuration ethnique, dont le but était de récupérer la terre des Masalit, parce que le ciblage était sur base ethnique. Cela relève aussi d’un acte génocidaire, parce qu'ils ont tué des milliers de civils masalit dans ces attaques.
En janvier dernier, le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a déclaré qu'il y avait des raisons de croire qu’au Darfour, les deux belligérants commettaient des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, voire un génocide. Le procureur renvoie donc les deux belligérants dos à dos. Mais les Forces de soutien rapide ne commettent-elles pas des crimes encore plus graves que les Forces armées soudanaises ?
Je suis d'accord avec vous, c'est tout à fait le cas, c'est-à-dire que les Forces armées soudanaises au Darfour – que ça soit à el-Geneina, à el-Fasher ou même dans d'autres chefs lieux, comme Nyala au Sud-Darfour –, toutes les garnisons de l'armée soudanaise dans ces villes étaient encerclées et donc n'étaient pas en mesure de perpétrer des crimes massifs à l'échelle de ceux commis par les Forces de soutien rapide à el-Geneina. Bien sûr, l'armée de l'air soudanaise a lancé des bombardements à répétition dans les villes et donc il y a eu beaucoup de victimes civiles collatérales, mais je ne crois pas que l'armée a eu la possibilité, ou même l'intention, de s'attaquer à des communautés civiles sur une base ethnique, comme c’était le cas pour les Forces de soutien rapide.
Faut-il inculper le général Hemedti pour crimes de guerre, voire crimes contre l'humanité ?
Certainement, c'est mon évaluation. D'ailleurs, il y a une enquête officielle de la Cour pénale internationale au sujet des tueries qui ont eu lieu entre le mois d'avril et le mois de juin 2023 à el-Geneina, où beaucoup de Masalit ont trouvé refuge et où les Forces de soutien rapide se sont attaquées à eux, en en tuant encore des milliers parmi eux.
Et faut-il inculper aussi le général al-Burhan ?
Il y a de plus en plus d'implication de l'armée soudanaise dans des crimes de guerre. On a vu dernièrement, par exemple, des cas de ciblage sur une base ethnique dans les villes où l'armée est en contrôle, dans les États de l'Est et du Nord du Soudan. Tous les gens de l'Ouest du Soudan sont pris pour cible et menacés d'arrestations arbitraires, de torture et suspectés de jouer un rôle d'espion pour les Forces de soutien rapide. Donc il y a une responsabilité du commandement du général al-Burhan sur les exactions qui visent des civils pris dans les feux croisés de cette guerre qui a lieu aujourd'hui au Soudan.
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Mon, 13 May 2024 - 952 - Mounir Halim: «La collaboration public-privé est la clé pour une production compétitive des engrais en Afrique»
Les pays membres de l'Union africaine étaient réunis cette semaine, du mardi 7 au jeudi 9 mai à Nairobi au Kenya, pour un sommet extraordinaire sur les engrais et la santé des sols. Un rendez-vous très important alors que les prix des engrais ont triplé, voire quadruplé au cours des dernières années, sous l'effet conjugué de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Cette envolée des prix a rendu l'accès aux engrais plus difficile pour les agriculteurs africains, provoquant un appauvrissement des sols et une baisse des récoltes dans de nombreux pays. À l'issue du sommet de Nairobi, un plan d'action décennal a été présenté, avec 21 mesures pour favoriser la fertilité et la santé des sols. Mounir Halim est le fondateur et directeur d'Afriqom, une agence d'information spécialisée sur le marché des engrais en Afrique.
RFI : Dans la déclaration de Nairobi, les États se sont engagés à tripler la production domestique et la distribution d'engrais d'ici fin 2034 en Afrique, pour améliorer la fertilité des sols. Que pensez-vous de cet objectif affiché ?
Mounir Halim :Alors, sur le point de la production aujourd'hui, je ne vois pas ça comme un problème pour arriver à des consommations dont on a besoin pour le sol, parce qu’on a du produit qui vient de la Russie, du Moyen-Orient, mais surtout des produits africains. On voit déjà le potentiel avec la disponibilité du gaz, du phosphate, même de la potasse, des éléments primaires pour les engrais. Le problème, ce n’est pas la disponibilité des produits. Maintenant, je comprends que certains gouvernements veulent produire des engrais en Afrique. En parallèle, nous avons beaucoup d'entreprises internationales qui veulent investir, mais nous n’arrivons pas à construire des investissements de milliards de dollars. Pour moi, c'est ça la question.
Donc, les matières premières sont disponibles, il y a des investisseurs... Alors, quelle est la clé pour améliorer la fertilité des sols ?
C'est la collaboration entre le secteur public et privé. Parce que les gouvernements africains ne peuvent pas le faire tout seul. On a des acteurs africains ainsi que des acteurs internationaux qui veulent développer l'Afrique. Ils sont prêts, mais ils ont besoin des réglementations qui vont faciliter et protéger leurs investissements. Mais l'intérêt est là. Je vois parfois des gouvernements qui font des régulations super efficaces, par exemple au Nigeria et en Tanzanie. Il faut apprendre de ces exemples et les appliquer dans d'autres pays.
Comment les prix des engrais ont-ils évolués depuis 2020 et est-ce que, désormais, ils se sont stabilisés ?
Je vous donne un exemple donc de l'urée. C’est l'engrais azoté qui est le plus utilisé dans le monde et aussi en Afrique. L'urée, arrivée au port africain en décembre 2020, était autour de 300 dollars la tonne. En mars 2022, on est arrivé à 1 100 dollars par tonne. Aujourd'hui, on est retourné à 350 dollars la tonne.
Et peut-on dire que les chocs de la guerre en Ukraine et du COVID-19 ont été surmontés ?
Malheureusement, non. C'est parce qu'on a découvert, avec ce choc du COVID-19, c'est qu'en Afrique, nous ne sommes pas prêts à gérer ces chocs. Et on l'a vu depuis des dizaines d'années : il n'y avait pas de fluctuations dans les marchés d'engrais. Mais en 2006/2007, nous avions la flambée des prix... Après, nous en sommes revenus et là, on voit que ça arrive de plus en plus. C'est lié à beaucoup d'autres éléments, comme tout ce qui est politique, le changement climatique, la crise financière. Et d'ailleurs, avoir une préparation pour gérer les chocs n’était pas du tout mentionné dans la déclaration, alors qu'on vient de sortir d'un choc, justement. C'est pourquoi cette déclaration, à mon avis, manque de beaucoup d'éléments importants.
L'Afrique compte plusieurs grands producteurs d'engrais, le Nigeria, l'Algérie, le Maroc ou l’Afrique du Sud. Aujourd'hui, est-ce que leurs exportations sont tournées prioritairement vers le continent africain lui-même ?
La réponse est oui et non. Par exemple, le Maroc exporte plus que 20%, parfois 30%, de leur export mondial vers l'Afrique. Maintenant, vous avez mentionné l’Algérie. Ça, c'est un peu décevant : pratiquement, je dirais 0% qui part vers l'Afrique. La même chose pour l'Égypte. Pour l'Afrique de l'Ouest, la grande production est au Nigeria. Il y a deux grands producteurs : Dangote et Indorama. Indorama fait beaucoup de distribution au Nigeria et un peu aussi sur l'Afrique de l'Ouest. Dangote, moins, ils se focalisent plutôt sur le Brésil. Donc, j'aimerais bien voir ces grands producteurs africains avoir une stratégie africaine.
Et est-ce que le prix des engrais africains est suffisamment attractif, aujourd'hui, pour concurrencer les engrais russes par exemple ?
Si je reste sur l'exemple d’urée, c’est sur le coût de production qu’on va comparer le produit russe et le produit nigérian. Les producteurs russes ont un accès à un gaz qui est très compétitif... les Nigérians aussi. Mais les Russes ont besoin d’affréter ce produit. Vous avez un élément de prix additionnel, alors que les Nigérians ne vont pas l'avoir. Donc, on peut produire du produit assez compétitif en Afrique. On a un défi, il faut qu'on persévère, persévère, persévère... parce que le potentiel est là et il est énorme. Et l'Afrique va nourrir sa population, mais surtout le monde. Et pour ça, on a besoin de travailler avec les gouvernements africains pour ramener des réglementations qui vont encourager de plus en plus le développement du secteur agricole en Afrique.
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Sat, 11 May 2024 - 951 - Présidentielle au Tchad: selon T. Vircoulon, «On ne peut pas connaître la vérité des résultats de la commission électorale»
Au Tchad, le président de transition Mahamat Idriss Déby est élu dès le premier tour, selon les résultats provisoires annoncés hier soir par la Commission électorale. Avec 61 % des voix, il arrive loin devant le Premier ministre Succès Masra, crédité de 18 %, et l'ancien Premier ministre Pahimi Padacké, qui frôle les 17 %. Que penser de ces résultats ? Et que prévoir après l'annonce par le Premier ministre qui affirme que c'est lui qui a gagné ? Thierry Vircoulon est chercheur associé à l'IFRI, l'Institut français des relations internationales. Il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Êtes-vous surpris par l'annonce de la victoire du président de la transition dès le premier tour ?
Thierry Vircoulon : Oui, on est surtout surpris que l'agence électorale Ange ait pu compiler les résultats des 26 000 bureaux de vote aussi vite, puisque elle-même disait qu’il lui faudrait quand même un certain nombre de jours pour faire cette tâche et qu'elle avait jusqu'au 21 mai pour l'accomplir. Donc 26 000 bureaux de vote compilés avec les résultats analysés et compilés aussi vite, c'est très très surprenant.
Et pourquoi cette accélération, peut-être pour ne pas laisser enfler la polémique ?
Oui, je crois que la raison, c'était de prendre de vitesse Succès Masra, d'éviter qu’il y ait en effet des annonces prématurées sur les résultats électoraux et que ça fasse monter en fait la température à Ndjamena et dans les grandes villes du pays. Et je pense que, en effet, cette soudaine accélération du travail de compilation de l'Agence électorale avait quand même des intentions politiques assez claires.
À quel autre scrutin vous fait penser cette élection ?
Cela fait penser au scrutin de 1996, qui était aussi l'élection de sortie de la première transition et qui a été remportée par le président Idriss Déby. Mais à ce moment-là, cette élection a été remportée au deuxième tour et pas au premier tour, et donc là, on voit quand même la différence. Mais c'est la deuxième transition tchadienne qui se termine avec une victoire électorale d'un membre de la famille Déby.
L'autre fait marquant de la soirée d'hier, c'est que le Premier ministre Succès Masra, trois heures avant l'annonce des résultats officiels, a annoncé que c'est lui qui avait gagné et a appelé les Tchadiens à se mobiliser pour ne pas se laisser voler leur victoire. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Ça fait penser que les jours qui viennent vont être extrêmement tendus puisqu’on a une situation assez classique, si je puis dire, dans les élections africaines, où la commission électorale proclame un vainqueur et puis son challenger conteste les résultats et dit que c'est lui le vainqueur. Ce qui est clair, c'est que, dès hier après-midi, l'armée tchadienne a été déployée à Ndjamena. Et donc les jours qui viennent vont être très militarisés parce que le pouvoir s'attend à une épreuve de force avec les partisans de Succès Masra, puisqu'il a appelé dans son message à ne pas se laisser voler la victoire. Et donc il y a un risque d'épreuve de force dans la rue.
Depuis un mois, beaucoup de Tchadiens disaient que le duel entre le président Mahamat Idriss Déby et le Premier ministre Succès Masra était une mascarade et que les deux hommes avaient conclu, en fait, un accord secret. Est-ce que le scénario d'hier soir ne dément pas cette thèse de la collusion ?
Il y a eu un accord, mais c'était un accord pour le retour de Succès Masra et le fait qu'il puisse être candidat aux élections... Est-ce qu'il y avait un accord sur l'après élection ? Là, en effet, on peut en douter, parce qu’on a vu que, ces dernières semaines, Succès Masra est vraiment entré dans le jeu électoral et a mené une vraie campagne électorale qui a provoqué un vrai engouement populaire autour de sa candidature. Et donc, s'il y a eu un accord, il est clair qu'aujourd'hui il ne tient plus. Mais peut-être n'y en a-t-il pas eu. Mais en tout cas, il s'est posé vraiment comme le challenger du président et maintenant il réclame la victoire, contrairement à ce que vient de dire l'Agence électorale.
Et du coup, est-ce que la cohabitation entre le président et le Premier ministre peut tenir longtemps ?
Non, il est évident qu’avec le discours qu’il vient de faire avant la proclamation des résultats, ce n'est plus possible. Mais il faut quand même rester prudent. Il peut toujours y avoir des arrangements de dernière minute, notamment peut-être pour éviter la confrontation dans la rue dont je parlais tout à l'heure.
Selon les résultats provisoires annoncés hier, le Premier ministre Succès Masra est talonné par une autre personnalité du sud du pays, l'ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké. Quel est votre commentaire ?
Le problème de cette élection, comme d'ailleurs trop souvent dans les élections africaines maintenant, c'est qu’il n'y a plus d'observateurs. Il n’y a pas d'observateurs internationaux véritablement. Et même pas les observateurs nationaux qui avaient été formés, leurs accréditations ayant été refusées par l'agence électorale. Donc maintenant on se retrouve avec des élections où personne n'est capable de contre vérifier les résultats annoncés par la commission électorale. Par conséquent, on peut dire 16%, 15%, 20%, on a un peu l'impression que, de toute façon, les chiffres n’importent plus puisqu’on ne peut pas connaître leur vérité. Et on ne peut pas connaître leur vérité parce que les organisateurs électoraux ont vraiment tout fait pour qu'il n'y ait pas d'observation impartiale possible.
Fri, 10 May 2024 - 950 - A. Agbénonci: dans le bras de fer Bénin-Niger: «Il faut désigner des intermédiaires, personne ne sera gagnant»
Rien ne va plus entre le Bénin et le Niger. Voilà bientôt six mois que le Niger refuse de rouvrir la frontière entre les deux pays. Et mercredi 8 mai, le président béninois Patrice Talon a confirmé l'information RFI de ce lundi, à savoir la décision du Bénin de bloquer l'embarquement du pétrole nigérien au niveau de la plateforme de Sémé Kpodji, sur les côtes béninoises. Jusqu'à 2023, Aurélien Agbénonci était le ministre béninois des Affaires étrangères. Aujourd'hui, il travaille auprès du Forum de Crans-Montana, qui fait du conseil stratégique. De passage à Paris, il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Après le refus du Niger de rouvrir sa frontière avec le Bénin, celui-ci décide de bloquer l'évacuation du pétrole nigérien, quelle est votre réaction ?
Aurélien Agbenonci : J'ai été un peu surpris d'apprendre que le gouvernement du Bénin avait pris une telle mesure. Je pensais qu'on était dans une démarche d'apaisement et de retour à la sérénité, donc j’ai été très surpris.
À l'origine de cette crise entre les deux pays, il y a le putsch au Niger le 26 juillet dernier et la décision du Bénin de s’associer aux autres pays de la Cédéao. Ils ont alors sanctionné les putschistes de Niamey. Est-ce que c'était, d'après vous, la bonne décision ?
Je m'étais abstenu pendant un an de m’exprimer sur ces questions-là, une sorte de silence que je m’étais imposé volontairement, et je me suis dit qu'après un an, il était peut-être temps que je me fasse entendre pour contribuer à la recherche de solutions.
Je pense que ce n'était pas la bonne décision parce que la Cédéao, qui a recommandé ces sanctions qui sont plutôt radicales, est elle-même dans une crise identitaire. On parle d'une Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, puis on s'est retrouvé dans une situation où la communauté économique est partie directement sur un terrain politique. Et lorsque vous imposez des sanctions politiques - alors que votre rôle est de rester d'abord dans la recherche de convergences économiques pour pouvoir pousser la croissance et favoriser le développement dans cet espace communautaire -, forcément, on arrive à une situation difficile comme celle-là.
Et donc la décision, elle était dure, elle est conforme à un protocole qui existe, le protocole sur la gouvernance de la Cédéao. Et je pense que, très sérieusement, on aurait dû trouver une manière un peu plus simple de régler le problème, à savoir forcer sur le dialogue, trouver des compromis, établir des échéances de retrait des forces qui ont été responsables de ces changements, de ces ruptures dans l'ordre constitutionnel. Ce sont des choses qui ont déjà fonctionné dans le passé, mais je crois qu'on est allés un peu trop fort et, quand on va trop fort, parfois, ça ne marche pas.
À la fin de l'année dernière, le Bénin a assoupli sa position à l'égard du Niger. Le président Talon a annoncé sa volonté de normaliser les relations et de rouvrir la frontière Bénin-Niger, mais le Niger a refusé la main tendue. Qu'en pensez-vous ?
En fait, ce qu’il s'est passé, c'est que le dialogue a été vicié. Il y a eu des suspicions, des accusations de part et d'autre qui, forcément, ont fait disparaître la confiance entre les parties. Ensuite, je crois que le Bénin, peut-être, a sous-estimé l'importance du Niger dans son économie. Et on a vu le résultat plus tard, la situation du port de Cotonou en a souffert.
Et du coup, le Togo en a profité.
Le Togo en a profité. J'ai écouté les autorités des deux pays et j'ai compris qu'en fait, le Togo n'avait pas préparé spécialement une manœuvre contre le Bénin. Le Bénin non plus n'avait pas prévu que les choses prendraient une telle proportion et je pense qu’une saine appréciation de la réalité et du rôle de chacun aurait pu amener à éviter cette situation.
Pour justifier son refus de la normalisation, la junte au pouvoir au Niger a accusé le Bénin d'abriter secrètement une base militaire française dans le nord de votre territoire, est-ce que c'est crédible ?
Il ne m'appartient pas de répondre à cela, puisque je ne suis plus aux affaires depuis maintenant 12 mois, mais je ne pense pas que cette lecture est exacte.
Et c'est en effet catégoriquement démenti par les autorités béninoises.
Je n'ai pas de raison de ne pas les croire.
Ces derniers jours, le ton est monté entre Niamey et Cotonou. C'était à l'occasion de la future inauguration de la plate-forme pétrolière de Sèmè-Kpodji, sur la côte béninoise. Le Niger a alors décidé d'envoyer une délégation au Bénin sans prévenir les autorités béninoises, en demandant simplement aux Chinois de la compagnie pétrolière CNPC de faire passer le message au Bénin. C'est un peu vexant, non ?
Je n'ai pas les détails de ce qu’il s'est passé. Ce que je sais, c'est qu'il faut trouver des mesures d'apaisement. Je crois que le projet de pipeline est un projet important. C'est un beau projet. Je me souviens moi-même avoir été visiter les installations avec l'ancien président Bazoum lorsqu’il visitait le Bénin. Disons que le projet de pipeline mérite mieux que ce qu’il se passe.
La compagnie pétrolière chinoise CNPC a avancé le 12 avril dernier quelque 400 millions de dollars au pouvoir militaire nigérien. Mais cette avance, elle va être très vite consommée par le Niger. Et puis après, si le pétrole ne coule pas, il n'y aura plus d'argent pour le Niger. Est-ce qu'un jour ou l'autre les deux parties ne vont pas devoir revenir à la table, peut-être sous médiation chinoise ?
Je ne sais pas quelle sera la médiation, mais je crois qu'il faut désigner tout de suite des intermédiaires pour leur permettre de se parler. Et, le plus important pour moi, c'est que cette escalade s'arrête. Personne ne sera gagnant dans cette guerre, personne.
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Thu, 09 May 2024 - 949 - RDC: «La plupart du temps, il y a une saine collaboration entre l'Église et l'État»
En République démocratique du Congo (RDC), le torchon brûle entre le pouvoir politique et l'Église catholique. Il y a dix jours, on a appris que le cardinal archevêque de Kinshasa, Fridolin Ambongo, était menacé de poursuites judiciaires pour « propos séditieux » de nature à décourager les militaires qui combattent dans l'est du pays. Mgr Ambongo passera-t-il un jour en procès ? L'historien congolais Isidore Ndaywel est l'un de ses proches. Il est aussi le coordinateur national du puissant Comité laïc de coordination.
RFI : Des menaces de poursuites judiciaires contre le numéro un de l'Église catholique au Congo [Fridolin Ambongo], est-ce que ce n'est pas une première dans l'histoire de ce pays ?
Isidore Ndaywel : C'est vrai qu'il existe une lettre du procureur général de la Cour de cassation au procureur de la Cour d'appel de Matete, l'instruisant à ouvrir une action pénale à l'endroit du cardinal, mais ceci demeure une lettre d'intention.
Dans une interview au Figaro, le Président Tshisekedi lui reproche d'avoir dit récemment que le Congo armait les miliciens hutu FDLR, et de s'être fait ainsi le « propagandiste du Rwanda ».
Il faut préciser que le cardinal Fridolin Ambongo, son discours est de dire que la conférence épiscopale du Congo, la CENCO, condamne la rébellion, condamne les violences de l'est. Récemment encore, les évêques de la CENCO viennent de le faire pour ce qui s'est passé à Mugunga, près de Goma. Mais le cardinal a voulu dire, je crois, qu’il y a aussi des turpitudes qui relèvent de nous-mêmes. Je pense que c'est là où, effectivement, une telle déclaration n'est pas pour plaire au pouvoir, au président de la République. Donc effectivement, nous sommes en présence d'une situation conflictuelle. Mais il ne faut pas non plus qu'on exagère lorsqu'il y a des couacs à certains moments, surtout qu'il y a eu encore récemment un accord-cadre entre le Saint-Siège et l'État congolais.
En décembre dernier, le cardinal avait qualifié la présidentielle de « gigantesque désordre organisé ». Est-ce que la crispation actuelle entre le pouvoir et l'Église catholique ne date pas de ce moment-là ?
Disons que, globalement, nous savons que l'Église au Congo constitue une force tranquille. Mais une force de gauche qui, à plusieurs moments de notre histoire, rappelle à l'État le bien-fondé d'un certain nombre de principes de gestion. S'agissant des élections, oui, bien sûr. On savait depuis le départ que les élections allaient aboutir à énormément de difficultés, en commençant d'abord par la carte d’électeur qui n'était pas visible pour la plupart des citoyens. Donc voilà, il y a eu des problèmes réels à propos des élections.
Pourquoi dites-vous que l'Église est une force de gauche ? Pourquoi pas une force de droite ?
Je dis que c'est une force de gauche dans la mesure où cette force se trouve au ras du sol, auprès du petit peuple, de la réalité du quotidien.
Et peut-on dire que l'Église est, au Congo, une sorte de contre-pouvoir ?
Absolument, l'Église est une sorte de contre-pouvoir. Mais l'Église s'en tient aux institutions légales du pays. Et sur ce point-là, l'Église reste dans son rang. Nous n'avons pas eu au Congo la situation qu'on a eue au Congo-Brazzaville, où il y a eu un prélat [l’abbé Fulbert Youlou] qui est devenu le chef de l'État, ou en Centrafrique, où nous avons vu le père Barthélémy Boganda devenir un homme politique. Non, le Congo n'a jamais eu cette situation depuis le cardinal Malula, jusqu'à maintenant, avec Fridolin Ambongo.
Depuis la présidentielle de décembre, les opposants Moïse Katumbi et Martin Fayulu sont beaucoup moins audibles. Est-ce que l'Église catholique n'est pas en train d'occuper le terrain de l'opposition face à Félix Tshisekedi et de prendre le leadership de cette opposition ?
L’Église ne fait pas de la politique directement. L'Église s'occupe des problèmes essentiellement de type socio-économique. En ce qui concerne les questions frontales de la politique, normalement, c'est l'opposition et ça ne relève pas de l'Église.
On sait que Monseigneur Fridolin Ambongo fait partie du « C9 », le Conseil des cardinaux les plus proches du pape, depuis quatre ans. Est-ce qu'aujourd'hui ce début de procédure judiciaire contre le cardinal, ce n'est pas le signe que Félix Tshisekedi n'est pas dans un moment d'apaisement avec le Vatican et avec votre Église ?
Je ne pense pas, je voudrais quand même rappeler que, lorsque Fridolin Ambongo a été fait cardinal, le président Tshisekedi a fait le déplacement de Rome.
Donc, vous ne pensez pas que Monseigneur Fridolin Ambongo passera un jour en procès ?
À mon avis, non. Je constate que, depuis qu'il y a eu cette lettre, elle demeure une lettre. On n'a pas été au-delà d'une lettre.
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Wed, 08 May 2024 - 948 - Niger: «Mahamadou Issoufou est le commanditaire du putsch», selon la fille du président déchu Mohamed Bazoum
Hinda est l’une des cinq enfants du président nigérien Mohamed Bazoum, qui est séquestré depuis neuf mois à Niamey avec son épouse. Ce mardi matin, en exclusivité sur RFI, elle lance un « appel de détresse » en faveur de la libération de ses parents. Et elle accuse l’ancien président Mahamadou Issoufou, d’être non seulement à l’origine du putsch qui a renversé son père en juillet 2023, mais aussi d’être derrière les poursuites judiciaires dont son père est menacé vendredi prochain devant la Cour d'État de Niamey.
RFI : Dans une tribune, vous dites que le cerveau du putsch [du 26 juillet 2023] n'est autre que l'ancien président Mahamadou Issoufou, l'ami de toujours de votre père. Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
Hinda Bazoum : À son comportement, tout d'abord. Il n'a jamais condamné le putsch. Pire, il s'affiche même aux côtés des putschistes. Il est allé présenter ses vœux pour l'Aïd et saluer [le général] Tiani au palais présidentiel. Quel démocrate fait ça ? Il était l'ami de notre père, mais n'a fourni aucun effort pour lui. Il n'a jamais cherché à le rencontrer ni à exiger sa libération. Il n'a jamais cherché à rentrer en contact avec nous, les enfants. Chose plus curieuse encore, lorsque la communauté internationale souhaitait exiger un retour à l'ordre constitutionnel, au lieu d’abonder dans le même sens, il a plutôt plaidé pour une courte transition, une nouvelle Constitution et de nouvelles élections, sûrement pour pouvoir revenir au pouvoir. Lui qui se voulait grand démocrate est en fait un grand dictateur.
Est-ce que vous pensez que Mahamadou Issoufou a pris le train en marche, qu'il a profité du putsch pour faire ce que vous dites ?
Non, pas du tout. C'est bien lui le commanditaire du putsch. L'idée a mûri dans la tête d'une seule personne, Mahamadou Issoufou. Mon père était sûrement devenu trop gênant pour les gens de son clan. Du temps de mon père, il faut dire que la lutte contre la corruption était bien lancée. Elle avait permis l'arrestation de 40 cadres par la justice, dont les membres du parti PNDS de mon père, ce qui est inédit au Niger et qui prouve que la justice était indépendante. Il était en train de mettre fin à l’affairisme, à la gabegie au sommet de l'État. Et c'est là qu'Issoufou s’est senti en danger à travers les intérêts de ses amis et, certainement, les siens.
Donc il a véritablement dupé votre père dans les derniers jours d'avant le 26 juillet ?
Beaucoup plus, il l'a trahi. Il a trahi tout un peuple, il a trahi ses amis de lutte. C'est comme un cauchemar pour nous.
Hinda Bazoum, vous allez plus loin puisque vous dites aujourd'hui que la menace de levée d'immunité de votre père afin de pouvoir le juger pour haute trahison, c'est une manœuvre de l'ancien président Issoufou lui-même…
Oui, tout à fait, parce que, face à la résistance de mon père, à son refus de démissionner, je pense que c'est quelque chose qu'ils n'ont pas imaginé au début. La dernière cartouche d'Issoufou serait de lever l'immunité de mon père pour le faire condamner, de sorte à le rendre inéligible pour laisser le champ libre à Issoufou de cette manière. Et ils ont créé de toutes pièces une nouvelle Cour d'État qui se substitue aux tribunaux de la Constitution, à la tête de laquelle est nommé un proche d’Issoufou.
L'audience de la Cour d'État de Niamey est prévue vendredi prochain, qu'est-ce que vous attendez des magistrats de cette Cour ?
J'espère qu'ils feront preuve d'impartialité. C'est un rendez-vous avec l'histoire qui se présente à eux, il faut qu'ils en aient conscience.
Si votre père démissionnait de ses fonctions de président de la République, tout irait mieux pour lui, font savoir les officiers putschistes. Pourquoi refuse-t-il de démissionner ?
Je ne pense pas que tout irait mieux pour lui, non. Et mon père ne démissionne pas parce que c'est un démocrate sincère. Il est courageux et ce combat, il le mène pour le Niger tout entier et pas que pour lui. C'est un homme de principes, mon père, et je peux vous assurer qu'il continuera le combat.
En janvier, Hinda Bazoum, votre frère Salem, qui était séquestré avec vos parents, a été libéré. Est-ce que vous avez cru à ce moment-là que c'était bon signe pour vos parents ?
Oui, bien sûr. C'était déjà un premier soulagement pour nous que notre petit frère sorte de cette prison. On a espéré et rien n'est jamais venu. C'est dur pour nous, vraiment très dur.
C'est le Togo et le président Faure Gnassingbé qui ont aidé par leur médiation à la libération de votre petit frère. Est-ce que ce pays ou d'autres pays de la Cédéao peuvent intercéder en faveur de votre père et de votre mère ?
Oui, bien sûr. Et d'ailleurs, nous appelons les démocrates sincères et la Cédéao, qui a toujours rendu hommage à la bonne gouvernance de mon père, à nous aider à obtenir la libération de nos parents et à rétablir la démocratie au Niger. Il est du devoir des chefs d'État africains effectivement de défendre la démocratie et d'obtenir la libération de nos parents.
Donc c'est un appel que vous leur lancez ?
C'est un appel que je lance effectivement. Un appel de détresse !
Hinda Bazoum, c'est la première fois que vous vous exprimez de vive voix dans un média international. Je sais que ce n’est pas facile pour vous de prendre la parole. Pourquoi tenez-vous à le faire aujourd'hui ?
Parce que l'heure est grave. Si je sors du silence, c'est parce qu'il y a urgence. J'ai décidé de prendre la parole au nom de mes frères et sœurs pour dénoncer cette injustice et surtout désigner l'unique responsable. Nous nous sentons abandonnés et on espère sincèrement que la communauté internationale n'oubliera pas nos parents.
Avez-vous peur qu'on oublie vos parents ?
Effectivement, c'est une peur, mais nous espérons que mon appel sera entendu et que notre voix sera portée loin pour la libération de nos parents et la démocratie au Niger.
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Tue, 07 May 2024 - 947 - Centrafrique: «Sur le terrain, la coopération entre Faca et Minusca est une avancée»
En Centrafrique, voilà tout juste deux ans que la diplomate rwandaise Valentine Rugwabiza dirige les 14 000 casques bleus de la Minusca, l’une des plus importantes missions de l’ONU dans le monde. À son arrivée, les relations de la Minusca avec le pouvoir centrafricain étaient tendues. Aujourd’hui, elle se félicite d’avoir « rétabli une coopération productive ». Mais comment se passe la cohabitation de ses casques bleus avec les paramilitaires russes de Wagner ? Entretien.
RFI : Vous avez rencontré récemment le Chef d'état-major des FACA, les forces armées centrafricaines. Sur le terrain, comment ça se passe ? Vous faites des patrouilles mixtes ?
Valentine Rugwabiza : Nous avons une très bonne collaboration et coopération ensemble et cela, clairement, c'est une des avancées du travail qui a été fait au courant de ces deux années. Notre coopération se traduit justement par un mieux faire et un plus faire, ensemble. Et ce mieux faire, ce plus faire, ce sont des patrouilles mixtes, mais c'est aussi un soutien au déploiement, y compris dans des zones où les forces armées centrafricaines n'ont pas été présentes depuis des décennies. Nous avons eu l’opportunité de le faire à la frontière avec le Soudan et à la frontière au sud-est du pays.
Et vous avez assez d'équipements ? Est-ce qu'il ne faut pas faire plus, au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU ?
C'est un défi très clair et je saisis l'opportunité de vos antennes larges. Ceci est un défi que j'ai porté à l'attention du Conseil de sécurité. Dans un pays comme la Centrafrique, nous avons besoin de beaucoup plus de capacités logistiques. Il s'agit d'un immense pays, mais où il n'y a quasiment pas d'axes routiers. Donc clairement, nous sommes aujourd’hui à une phase où, pour stabiliser et consolider les acquis, nous avons besoin que d'autres partenaires investissent dans des projets d'infrastructures. Donc il est très bienvenu que la Centrafrique soit en train de renouer un certain nombre de partenariats bilatéraux.
Il y a aussi d'autres forces de sécurité sur le territoire centrafricain, notamment les quelque 2 000 paramilitaires russes. Il y a quelques semaines, le ministre centrafricain de la Communication, Maxime Balalou, a déclaré que des soldats russes se déployaient dans le sud-est pour faire face à la montée de l'insécurité. Est-ce à dire que vous cohabitez, voire faites des patrouilles mixtes entre la MINUSCA et ces paramilitaires russes ?
Cela je peux vous le dire, absolument pas. Effectivement, nous intervenons sur un terrain où il y a plusieurs acteurs. Cependant, nos mandats sont différents. Notre mode opératoire, c'est un mode opératoire de travail avec les forces centrafricaines, pas avec d'autres personnels de sécurité. Et notre redevabilité est connue. Nous sommes redevables aux membres des Nations unies, au Conseil de sécurité et au siège des Nations unies.
Mais sur le terrain, en province, les casques bleus côtoient les autres forces de sécurité qui sont là. Et comment ça se passe cette cohabitation, notamment avec ces forces de sécurité russes ? J'imagine qu'il y a quand même… ne serait-ce que des échanges d'informations, non ?
Eh bien, ces échanges n'existent pas. C'est pour ça que je n'utiliserai pas le mot « côtoyer », parce que nous opérons de manière différente, de manière parallèle. Si parfois il y a besoin absolument d'avoir un échange d'informations, nous le faisons par la partie centrafricaine et les forces centrafricaines. Je suppose qu'elles jouent leur rôle de coordination avec tous ceux qui sont invités sur leur territoire.
Valentine Rugwabiza, vous êtes une grande diplomate rwandaise et il y a actuellement sur le territoire centrafricain quelque 3 000 soldats rwandais, 2 000 pour la MINUSCA et quelque 1 000 hommes dans le cadre des relations bilatérales entre Kigali et Bangui, certains d'ailleurs pour faire la protection rapprochée du président Touadéra. Est-ce que c'est peut-être aussi votre nationalité qui a permis de rétablir une coopération, comme vous dites, « productive » avec les autorités centrafricaines ?
En réalité, cette coopération productive, elle est basée non pas sur un passeport ou sur une nationalité. Elle est basée sur des actions très concrètes. À la prise de mes fonctions, les autorités centrafricaines, ce qui est normal, et le gouvernement, ont attendu de voir comment j'allais mettre en œuvre mes priorités et si j'avais l'intention de travailler en étroite coopération. Donc, je ne pense pas que ce soit mon passeport qui était considéré, mais plutôt les actions et les choix.
Mais franchement, Madame Rugwabiza, le fait que vous veniez d'un pays qui a une coopération très forte avec la République centrafricaine, ça ne vous facilite pas les choses, quand même ?
Il est clair que je suis personnellement reconnaissante envers mon propre pays pour sa contribution et que cette contribution, qui est très appréciée par la partie centrafricaine, clairement oui, vous donne un quota de confiance au départ, mais ce n'est qu'un quota. Vous devez démontrer ensuite par des actions concrètes si, effectivement, cette confiance octroyée était méritée.
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Mon, 06 May 2024 - 946 - «Déborder l'anthropologie», une exposition pour «faire émerger des figures peu connues en France»
Jusqu'au 12 mai, le musée du quai Branly met à l’honneur trois femmes afro-américaines : la danseuse Katherine Dunham, la romancière Zora Neale Hurston, et la militante Eslanda Goode Robeson. Trois femmes qui, par leur art et leur conscience politique, ont contribué à donner un éclairage neuf sur les passerelles culturelles entre Afrique et Amérique. Entretien avec Sarah Frioux-Salgas, commissaire de l'exposition intitulée Déborder l'anthropologie.
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Sat, 04 May 2024 - 945 - Haman Mana, journaliste camerounais: «Martinez Zogo était traqué plusieurs jours avant sa mort»
J'aime l'odeur de l'encre au petit matin sur le papier, C'est le titre d'un ouvrage qui vient de sortir aux Éditions du Schabel. C'est un hommage à la presse écrite, où son auteur, le journaliste camerounais Haman Mana, raconte ses 35 années de combat pour la liberté d'expression. Sa solidarité avec le prisonnier Amadou Vamoulké, sa dernière rencontre avec le journaliste supplicié Martinez Zogo. En ligne des États-Unis, où il vit actuellement, et à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, Haman Mana témoigne au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : C'est pendant les années de braise [crise politique camerounaise de 1990-1992] que vous débutez dans le journalisme. Pour le journal pro-gouvernemental Cameroon Tribune, vous couvrez la présidentielle de 1992 où, officiellement, Paul Biya arrive premier de justesse devant John Fru Ndi. Comme reporter, vous êtes aux premières loges à la commission nationale de recensement des votes et, aujourd'hui, vous écrivez : « J'ai assisté en direct au fonctionnement de cette moulinette qui se met en marche, à chaque fois, pour reconduire les mêmes aux commandes du Cameroun ».
Haman Mana : Oui, bien sûr. Cette présidentielle a lieu en octobre 1992. Mais, il y a avant, au mois de mars ou avril 1992, des législatives où, clairement, l'opposition les a remportées. L'opposition a gagné parce que le code électoral permettait que, dans chaque circonscription, on fasse immédiatement le décompte et la promulgation des résultats sur place. C'étaient les présidents des tribunaux locaux qui étaient les présidents des commissions électorales. Après avoir perdu les législatives de 1992, le gouvernement s’est donc juré de ne plus jamais rien perdre. Et c'est comme ça que, lors de la présidentielle, le scénario a été mis en place pour ne pas perdre l'élection, où tout le monde est aujourd'hui d'accord pour dire que John Fru Ndi avait gagné.
Cinq ans plus tard, en 1997, nouvelles législatives, avec ce que vous appelez «la mise en place d'une machine de fraude électorale sans précédent ». À ce moment-là - vous venez de prendre la direction du journal Mutations -,vous décidez de prendre la plume ?
Oui, j'avais écrit à l'époque un éditorial qui avait pour titre Ballot or Bullet, ce qui veut dire : « le bulletin de vote ou les balles ». C'est-à-dire que, si on ne peut pas s'exprimer par le bulletin de vote, finalement, c'est une affaire qui va s'achever dans le sang. Bon, en anglais, il y'a la belle allitération Ballot or Bullet. En français, ce n'est pas possible, mais c'est comme ça que je le disais déjà en 1997. D'ailleurs, ça nous a valu l'interdiction du journal Mutations pendant quelque temps, mais à l'époque, c'était déjà cela.
Je relis aujourd'hui votre article de 1997, vous écrivez : « L'alternance est-elle possible au Cameroun par la voix des urnes ? La réponse est - hélas - non. »
Oui, il y a 25 ans. Aujourd'hui, je le réitère. Depuis ces années-là, le contrôle sur les votants, sur les votes et sur les résultats est constant et permanent. C'est pour ne pas avoir de surprise à la fin.
Parmi les personnalités qui sont toujours en prison à l'heure actuelle dans votre pays, il y a votre confrère Amadou Vamoulké. Dans votre livre, vous montrez la Une d'un journal où vous l'interviewez sous le titre Mes vérités à propos de la CRTV - la radiotélévision publique camerounaise, qu’Amadou Vamoulké avait justement dirigée à l'époque. Pensez-vous qu'il est vraiment en prison, comme le dit officiellement la justice, pour «détournement de biens publics » ?
Non, ce n'est pas possible. Si Monsieur Amadou Vamoulké devait être en prison, ça ne serait pas pour détournement de biens publics. Non, ce n'est pas possible. S'il était en prison pour détournement de deniers publics, pourquoi, aujourd'hui, nous en sommes à quelque 80 renvois juridiques ? C’est unique dans les annales de la justice dans le monde. On tourne à la centaine de renvois... Vous imaginez, une centaine de renvois ? Pour un procès en pénal ? C'est intenable pour cet homme qui, d'ailleurs, vient de perdre son frère cadet. Monsieur Amadou Vamoulké a perdu son frère cadet hier et c'est le quatrième frère qu'il perd depuis qu'il est en prison... Ce n'est pas possible !
En janvier 2023, c'est l'assassinat du journaliste Martinez Zogo, à Yaoundé. Vous révélez que, quatre jours avant son enlèvement, il vous a rendu visite au siège de votre journal Le jour à Yaoundé et vous a confié que des gens de l'entourage de l'homme d'affaires Jean-Pierre Amougou Belinga le menaçaient de plus en plus. Et il a eu cette phrase, en parlant de ces gens : « Ils sont devenus fous, ils se croient tout puissants. En tout cas, je ne vais pas les lâcher ».
Exactement. Monsieur Martinez Zogo est venu à mon bureau et il m'a dit : « Écoute, tout le monde a peur de Jean-Pierre Amougou Belinga dans ce pays. J'ai l'impression qu'il n’y a que toi et moi, peut-être, qui avons le courage et le toupet de dire autre chose par rapport à Amougou Belinga». Je lui ai dit que je n’avais pas de soucis, et c'est là qu'il a commencé à me parler, à me dire qu’il était visé et que je l’étais également. Ce n'était pas une pratique courante au Cameroun, ça n'était jamais arrivé, le fait qu'on enlève un journaliste, qu'on aille l'exécuter quelque part après l'avoir menacé... Et Martinez Zogo, on voyait qu'il avait peur. C'était un garçon courageux, mais on sentait quand même qu'il avait peur, puisqu'au moment où je suis sorti pour le raccompagner, j'ai vu qu’il avait loué un taxi, qu'il l’avait garé très, très loin. Il était absolument sur ses gardes, donc il était déjà traqué. Plusieurs jours avant, il se sentait traqué. Il fonctionnait déjà avec un taxi en location, il était déjà traqué.
Fri, 03 May 2024 - 944 - Centrafrique: ce mandat d’arrêt contre François Bozizé va dévoiler «certains crimes qui se déroulaient à l’abri des regards»
L'ancien président centrafricain François Bozizé, qui est réfugié en Guinée-Bissau, répondra-t-il un jour des graves crimes dont il est accusé ? Mardi soir, on a appris que la Cour pénale spéciale de Bangui le poursuivait pour de possibles crimes contre l'humanité et avait lancé contre lui, il y a deux mois, un mandat d'arrêt international. Mais de quoi est-il accusé précisément ? Maître Bruno Hyacinthe Gbiegba est avocat et coordonnateur adjoint du Réseau des organisations de promotion et de défense des droits de l'homme en Centrafrique. Il est aussi membre de l’ACAT-RCA, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. En ligne de Bangui, il répond aux questions de RFI.
RFI : Les juges de la Cour pénale spéciale ont émis ce mandat d'arrêt dans le cadre d'une instruction sur de possibles crimes contre l'humanité commis par la garde présidentielle de François Bozizé dans la prison militaire de Bossembélé, au nord-ouest de Bangui. D'après vos informations, qu'est-ce qu'il se passait dans cette prison militaire ?
Maître Bruno Hyacinthe Gbiegba : Pendant cette période-là, les militants des droits de l'Homme ne cessaient de décrier les conditions de détention et certains crimes qui se déroulaient à l'abri des regards. Et donc, aujourd’hui, avec ce mandat d'arrêt qui est lancé et les témoignages des victimes, cela nous permettra d'avoir un éclairage.
Les investigations de la Cour dans cette prison portent sur la période 2009-2013. D'après vos informations, maître Gbiegba, combien de personnes ont pu être persécutées dans cet endroit pendant quatre ans ?
Au niveau de Bossembélé, il y avait des rebelles qui étaient arrêtés, là-bas, il y avait certains hommes politiques, il y avait des prisonniers de droit commun, mais c'est difficile de vous donner un chiffre parce qu’il y a certaines victimes qui se sont déclarées, mais d'autres avaient la peur au ventre. Et encore, certaines victimes ont disparu. Mais on savait au moins qu’il y avait des dérapages graves, il y avait des atteintes à la vie des gens qui se passaient là-bas.
Sous le régime de François Bozizé, il y a un cas emblématique : c'est celui de son ministre Charles Massi, qui est passé ensuite dans l'opposition, qui s'est réfugié un temps au Tchad, qui a été remis aux militaires centrafricains par des militaires tchadiens – c'était en décembre 2009 – et, depuis ce transfert, il a disparu. Est-ce qu'il aurait pu passer par cette sinistre prison militaire de Bossembélé ?
Il y a seulement des rumeurs qui évoquent ce cas. Mais vous savez, moi qui suis juriste, je ne peux pas me contenter de rumeurs. Jusqu'à ce jour, je ne sais pas exactement ce qui est arrivé à cet homme politique.
En tout cas, on n'a jamais retrouvé son corps.
On n'a jamais retrouvé son corps, donc on n'a jamais su ce qu’il s’était passé et, jusqu'à ce jour, il n'y a aucune déclaration officielle ou aucune preuve, donc je ne peux pas me contenter de rumeurs.
Et François Bozizé s'est-il exprimé là-dessus, depuis la disparition de Charles Massi ?
Il ne s’est jamais exprimé, c'est pour cette raison que je vous dis qu’il n'y a jamais eu une déclaration officielle sur la question.
Mais est-ce que vous pensez sérieusement, maître, que la Guinée-Bissau va accepter d'extrader François Bozizé ?
Si la République centrafricaine a signé un accord judiciaire avec la Guinée-Bissau, je ne vois pas pourquoi la Guinée-Bissau n'accepterait pas de livrer l'ancien président François Bozizé.
Mais n'y a-t-il pas eu, l’an dernier, une médiation politique de l'Angola pour que François Bozizé quitte le Tchad pour la Guinée-Bissau et s'engage à ne plus s'exprimer publiquement en échange d'une protection à Bissau ?
Nous, nous ne maîtrisons pas l'agenda politique. Nous nous occupons du volet judiciaire et nous luttons contre l'impunité. Par voie de conséquence, nous demandons à ce que les accords politiques ne soient pas une occasion de faire la promotion des criminels.
Alors la Cour pénale spéciale de Bangui n’enquête pas seulement sur les crimes commis sous le régime de François Bozizé, elle est chargée aussi d'enquêter sur les crimes commis après la chute de François Bozizé, c'est-à-dire après mars 2013. Est-ce que la Cour traque avec la même détermination les criminels d'après mars 2013 ?
C'est ce que nous sommes en train de déplorer. Il y a des cas qui continuent de se commettre. Lorsque nous étions revenus de [la conférence de] Khartoum après 2019, il y a eu des crimes qui ont été commis par certains éléments des 3R et il y a des crimes qui ont même été commis avant 2019, donc à Alindao, à Mobaye, à Ippy. On n'a pas encore poursuivi ces cas. Et nous avons le cas de monsieur Hassan Bouba, qui a été arrêté par la Cour pénale spéciale, mais qui a été libéré de force par le gouvernement. Il continue de siéger au gouvernement. Donc aujourd'hui, c'est pour cette raison que nous demandons à la Cour pénale spéciale de poursuivre tous les cas, en toute indépendance et neutralité.
Et est-ce que, à votre connaissance, il y a beaucoup de mandats d'arrêt qui ont été lancés par la Cour pénale spéciale et qui n'ont toujours pas été exécutés ?
Il y a aujourd'hui beaucoup de mandats d'arrêt internationaux qui ont été lancés par la Cour pénale spéciale. La plupart de ces mandats n'ont pas encore été exécutés alors que le gouvernement a la possibilité d'arrêter des gens, pour ceux qui sont à Bangui. Et lors du premier mandat de notre président de la République, il avait lancé ce slogan « impunité zéro » et donc nous attendons à ce qu'on mette en pratique ce slogan qui consiste à lutter d'une manière implacable contre l'impunité.
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Thu, 02 May 2024 - 943 - En Afrique de l’Ouest, l’organisation de collectifs pour pallier un «syndicalisme émietté»
En Afrique de l’Ouest, les travailleurs célèbrent le 1ᵉʳ-Mai dans un contexte syndical en crise. Émiettement des syndicats, éloignement de leur base, comme au Sénégal. Dans les pays du Sahel, dans des contextes de restriction des libertés, la lutte syndicale peine également à se faire entendre. Le professeur Babacar Fall de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, et de l’Institut d’études avancées de Saint-Louis au Sénégal, est historien spécialiste des questions du travail. Il est notre invité ce matin.
Professeur Fall, est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui, le syndicalisme au Sénégal, qu'est-ce que c'est ? Il ressemble à quoi ?
Je dirais que le syndicalisme ne se porte pas bien. Si l’on compare la situation des syndicats par rapport à la période qui a conduit vers les indépendances, où les syndicats ont véritablement joué un rôle moteur très important dans la lutte contre le colonialisme, dans la mobilisation des travailleurs à travail égal salaire égal, l'adoption du Code du travail, la lutte contre les injustices, la lutte pour l'avènement de l'indépendance. Les syndicats durant cette période ont véritablement joué le rôle de contre-pouvoir avec l'obtention de l'amélioration de la législation pour les travailleurs au regard des lois métropolitaines et au regard également des droits des travailleurs. Donc, ça a été très important.
Ensuite, après les indépendances, nous avons vu qu'il y a eu une démarcation dès le départ. Mamadou Dia a essayé d'amener les organisations syndicales à contribuer à la construction nationale. Les syndicats n'ont pas voulu appuyer le nouveau pouvoir et le dénouement a été tragique avec la grève de 1959 qui a abouti au licenciement de 3 000 travailleurs. Depuis cette période, il y a une tension entre la fraction des travailleurs voulant collaborer avec l'État et la fraction des travailleurs engagés à vouloir défendre les droits des travailleurs en toute autonomie syndicale. C'est véritablement la pierre d'achoppement.
Aujourd'hui, avec cette situation de crise économique, il y a une situation marquée par les licenciements, par la liquidation des entreprises, par la flexibilité du droit du travail. Il va sans dire que l'attente des travailleurs est de disposer des outils afin de pouvoir assurer la défense de leurs intérêts matériels et moraux pour pouvoir améliorer leurs conditions de vie.
Ces travailleurs ne trouvent donc pas les soutiens espérés ?
Ces travailleurs ne trouvent pas les soutiens espérés pour plusieurs raisons. La première, c'est que nous avons un émiettement syndical très remarquable. Aujourd'hui, on dénombre une vingtaine de confédérations syndicales. Si on se réfère simplement aux dernières élections de représentativité organisées en décembre 2023, nous avons eu 15 centrales syndicales qui ont participé aux élections, dans un contexte où la syndicalisation n’est plus très forte. Aujourd’hui, il est remarquable de constater que les syndicats n’attirent pas, du fait qu’ils ne s'imposent pas d'emblée comme le cadre qui peut prendre en compte la lutte contre les licenciements, la lutte contre la précarité. Et cette faible attractivité des syndicats n'est pas du tout en faveur de l'émancipation des travailleurs et de la défense de leur pouvoir d'achat.
On peut dire que les syndicats se sont trop formalisés. Ils sont devenus trop conventionnels. Et leur émiettement s'explique par des questions de démocratie interne, de démocratie syndicale. Les batailles de contrôle des différentes directions sont autant d'éléments qui font en sorte qu’il n'est pas rare de voir une centrale syndicale se fragmenter en trois ou quatre entités. C'est cela qui est regrettable et qui explique aussi que les syndicats ne sont plus des cadres attractifs pour amener les travailleurs à adhérer, à payer leur cotisation syndicale et à pouvoir véritablement s'identifier au syndicat en tant qu'instrument de lutte et de défense de leurs intérêts matériels et moraux.
Comment les travailleurs trouvent-ils les moyens de faire valoir leurs revendications ?
Les travailleurs sont relativement désarmés, et cela explique qu’il y a des mouvements de plus en plus spontanés qui s'organisent au sein de l'entreprise, avec des collectifs qui se mettent en place pour pouvoir défendre leurs droits. Et ce sont des actions à la base de mobilisation des travailleurs qui suppléent les faiblesses des syndicats. Vous avez par exemple le mouvement Frapp qui fait beaucoup d'agitation en direction des entreprises et qui prend en compte les revendications des travailleurs. Ce mouvement se fait l'écho de la voix et des protestations des travailleurs au niveau de l'opinion, au niveau des médias et au niveau du pouvoir politique. Donc ça je crois que c'est une illustration du fait que les syndicats ne sont pas au front dans la mobilisation pour la défense du pouvoir d'achat des travailleurs.
Je prends encore l'exemple de Dakarnave. Tout récemment, il y a eu une crise au sujet de sa convention. Pour assurer la gestion de Dakarnave, l’État voulait renouveler la convention avec un groupe de partenaires portugais. Mais cette nouvelle convention stipule la liquidation des acquis des travailleurs. Et la mobilisation s'est faite sur la base du comité mis en place au sein de l'entreprise pour pouvoir mettre la pression sur le gouvernement. Au premier plan, on ne voit pas la mobilisation des centrales syndicales pour pouvoir assurer la défense des travailleurs.
Ceci dans un contexte également marqué par le coût de la vie très élevé. Au Sénégal, le prix du carburant est de 990 francs le litre alors qu'au Burkina, nous sommes à 700 francs le litre. C'est à peu près le même prix au Mali. Cela participe de l'accentuation du coût de la vie et par rapport à cela, on ne voit pas très bien le rôle de front assuré par les centrales syndicales pour jouer le rôle de contre-pouvoir dans la détermination des prix, pour préserver le pouvoir d'achat des travailleurs.
Vous dressez un portrait du syndicalisme au Sénégal en perte d'influence. Est- ce que c’est le même constat pour toute l’Afrique de l'Ouest ?
Oui, je pense que le portrait du Sénégal cadre parfaitement avec ce que nous pouvons avoir au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Nigerou en Côte d'Ivoire, étant entendu qu’il existe des particularités selon les pays. Si vous prenez les pays sahéliens qui sont confrontés à des problèmes de sécurité, les syndicats sont confrontés à un autre défi, celui de devoir faire face aux restrictions de libertés. Par exemple, au Mali, des partis politiques ont été interdits d’activité. Il va sans dire que dans des conditions où les libertés sont confisquées par l'État, les libertés syndicales souffrent également. Mais du point de vue des tendances lourdes, à savoir le recul de la syndicalisation, la dispersion syndicale et les décalages entre la prise en compte de la défense du pouvoir d'achat des travailleurs par les syndicats, on constate effectivement que la situation est à peu près la même dans la plupart de ces pays.
Au Sénégal, l'arrivée du nouveau président va-t-il changer cette dynamique ?
La bonne nouvelle, c'est que, par exemple, pour le 1ᵉʳ mai, on reprend la tradition des défilés pour consacrer le respect des libertés syndicales. Ça avait été interdit pour des raisons disons de sécurité. Les syndicats étaient obligés d’organiser des rassemblements plutôt que les traditionnels défilés, démonstrations d'expression de la volonté des travailleurs de s'identifier à leur syndicat et de pouvoir effectivement exposer au grand public leurs revendications selon les différents secteurs. Je pense qu’il y a eu un recul sur cela ces trois dernières années et c'est heureux que la tradition des défilés cette année soit consacrée.
Le deuxième élément, je crois qu'il va y avoir une oreille plus attentive du nouveau régime au regard de sa sensibilité par rapport à la demande sociale et également à l'engagement même du pouvoir de devoir faire baisser les coûts de la vie. C'est heureux de constater qu'il y a déjà eu une rencontre entre des confédérations syndicales et le nouveau régime, pour amorcer la conversation sur les mécanismes pour pouvoir participer à la baisse du coût de la vie et par conséquence le renchérissement du pouvoir d'achat des travailleurs. Donc je pense que le nouveau régime ouvre une porte d'espoir. Il faut souhaiter que cette porte d'espoir se consolide et je crois que ça, c'est très important pour les travailleurs.
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Wed, 01 May 2024 - 942 - Mamadou Lamine Sarr: «Le Sénégal peut jouer l’intermédiaire entre les pays de l'AES et la Cédéao»
Après la Mauritanie et la Gambie, la Guinée-Bissau reçoit ce mardi le nouveau président sénégalais. Du temps de Macky Sall, les liens entre Dakar et Bissau étaient forts. Avec Bassirou Diomaye Faye, va-t-on vers le changement ou la continuité ? Et le chef de l'État sénégalais envisage-t-il de rencontrer aussi les officiers putschistes qui dirigent les trois pays voisins du Sahel : le Burkina, le Mali et le Niger ? Mamadou Lamine Sarr enseigne les sciences politiques à l'université Cheikh Hamidou Kane de Dakar. En ligne de la capitale sénégalaise, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Du temps de Macky Sall, les relations entre Dakar et Bissau étaient fortes, témoins les quelque 120 soldats sénégalais qui sont déployés à Bissau dans le cadre de la force de stabilisation de la Cédéao. Est-ce que tout cela pourrait changer avec le président Diomaye Faye ?
Mamadou Lamine Sarr : Je pense que ce sera plutôt l'inverse, ce sera une consolidation, à mon avis, de cette dynamique-là, parce qu’il y a quand même des intérêts économiques et, surtout, de sécurité au niveau de la frontière. La Guinée-Bissau est confrontée à de grands problèmes au niveau du narcotrafic. Le Sénégal a des difficultés encore au niveau de sa frontière, des difficultés héritées notamment du conflit avec le MFDC [Mouvement des forces démocratiques de Casamance, NDLR], donc le conflit casamançais. Il y a des intérêts communs mutuels pour que ces deux pays-là, à mon avis, consolident leurs relations.
Avec le contingent sénégalais, le président Macky Sall a pu consolider son alliance avec le président Sissoco contre les rebelles casamançais du MFDC. Et vous pensez qu'avec le président Diomaye Faye, c'est la même politique qui va être poursuivie ?
Tout à fait, je pense qu’il y aura une forme de continuité sur le conflit casamançais.
Avant la Guinée-Bissau, le président Diomaye Faye s'est rendu en Mauritanie. Dans le domaine énergétique, Bassirou Diomaye Faye veut renégocier le contrat du Sénégal avec British Petroleum en vue de l'exploitation à venir du gaz et du pétrole offshore. Mais c'est un gisement que le Sénégal partage avec la Mauritanie. Ne faut-il pas que les présidents sénégalais et mauritanien se mettent d'accord avant toute renégociation ?
Oui, je pense que c'est une condition. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le président Diomaye Faye, entre autres, s'est rendu en Mauritanie. Il est important de discuter de cela. Mais au-delà même de la possibilité, et peut-être de la nécessité, de s'accorder avec la Mauritanie… Avec ses spécialistes, le président Diomaye Faye a très certainement réévalué l'accord qui a été signé et s'est rendu compte, peut-être, à son avis, que les intérêts du Sénégal n'étaient pas assez défendus. Maintenant, est-ce que ce contrat-là, il y a une partie qui a été signée avec la Mauritanie ? Très certainement. Est-ce qu'il y a une partie qui oblige seulement le Sénégal ? Très certainement également. Et donc, c'est sur ces deux leviers que le Sénégal peut jouer à travers sa nouvelle diplomatie et, ce qui est certain, c'est que les Sénégalais, l'opinion publique sénégalaise en général, accordent une grande importance à l'exploitation du gaz et du pétrole, que ce soit par le Sénégal lui-même et avec ses voisins.
Mais, pour l'instant, la compagnie pétrolière British Petroleum n'a pas l'air très favorable à une renégociation de ce contrat. Quelles sont les chances de réussite du nouveau gouvernement sénégalais ?
Oui, cette entreprise-là, cette grande compagnie pétrolière, a certainement des raisons pour ne pas renégocier le contrat. Mais si un État dit cela, c'est qu'il a également des raisons pour le faire et ce n'est pas une première dans l'histoire du monde. Beaucoup d'États, je pense notamment à des pays en Amérique latine, ont renégocié des contrats avec de grandes entreprises et on a su trouver un équilibre. D'autres ont été un peu plus loin, en allant jusqu'à nationaliser carrément la production ou l'exploitation de certaines ressources. Donc tout ça, ce sont des possibilités qui ont eu lieu. Mais ce qui est certain, c'est que le Sénégal, en tant qu’État souverain, est lié effectivement par des contrats qu'il a signés. Mais il a également, comme tout État, la possibilité de revoir ces accords en coopération avec les autres signataires et il y aura plusieurs leviers sur lesquels le président du Sénégal pourra jouer.
À l'investiture du président Diomaye Faye, il y avait des représentants de plusieurs régimes putschistes d'Afrique de l'Ouest. Et sur le réseau X, le numéro un burkinabé, le capitaine Traoré, s'est dit prêt à œuvrer avec le Sénégal à la rénovation de la coopération sous-régionale. Est-ce que le nouveau président sénégalais pourrait convaincre les trois pays de l'Alliance des États du Sahel [AES] à ne pas rompre définitivement avec la Cédéao ?
Je pense qu’à l'heure actuelle où on parle, s'il y a quelqu'un qui peut essayer de jouer l'intermédiaire ou essayer de rapprocher nos frères du Burkina, du Mali et du Niger, c'est bien le président Diomaye Faye, parce qu’avec les autres puissances que sont la Côte d'Ivoire et le Nigeria, il semble que les discussions, que les postures soient très extrêmes, soient difficiles. Donc le Sénégal, avec l'alternance politique, a cette chance de pouvoir jouer un rôle là-dessus. D'autant plus qu'il y a des sujets sur lesquels, quand même, ce président est en accord avec ces juntes au pouvoir. Je pense notamment à la question du franc CFA, sur laquelle les positions sont très claires et, à mon avis, cette question peut être un levier justement pour faire retourner les pays qui avaient officiellement quitté la Cédéao, ces trois pays donc de l’AES. Je pense que le Sénégal a un rôle à jouer là-dessus.
Donc on peut s'attendre à une rencontre, peut-être, entre le président Diomaye Faye et certains de ses voisins sahéliens ?
Je pense que ce n'est pas à exclure, même si ce sont des régimes que les autres considèrent comme des régimes non-démocratiques. Je pense que, vu la posture et la dynamique engagée par le président Diomaye Faye sur les questions internationales, il n'est pas à exclure que le président Diomaye Faye se rende au Burkina ou au Mali, ou inversement, et que des discussions soient engagées. Je pense que c'est quelque chose qui est, à mon avis, fort probable.
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Tue, 30 Apr 2024 - 941 - Pour l’ambassadeur de RDC à Paris, «en demandant des sanctions contre le Rwanda, la France prendrait date dans l’histoire»
À l’agenda de la visite officielle du président congolais Félix Tshisekedi en France, ces 29 et 30 avril, il y a deux points essentiels : la fin de la guerre à l’Est et le développement économique. Sur le premier point, l’ambassadeur de la République démocratique du Congo (RDC) à Paris, Emile Ngoy Kasongo, ne cache pas, au micro de RFI, qu’il espère que le président français demandera des sanctions contre le Rwanda. Sur le second point, le diplomate congolais attend beaucoup du forum économique franco-congolais organisé ce 30 avril à Bercy, à Paris, avec le patronat français (Medef).
RFI : Qu’est-ce que vous attendez de cette visite officielle du chef de l’État congolais à Paris ?
Émile Ngoy Kasongo : D’abord une relance à la fois de la coopération et également des questions des diplomaties majeures entre le gouvernement français et celui de la République démocratique du Congo dans un contexte marqué, comme vous le savez, par la situation difficile, la situation de guerre, d’instabilité, d’insécurité, à l’est de la RDC.
Il y a un an, on se souvient, le président Macron, c’était à Kinshasa, a eu des mots assez durs contre votre pays. « Depuis 1994, a-t-il dit,vous n’avez pas été capable de restaurer la souveraineté de votre pays, ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative, c'est une réalité et il ne faut pas chercher de coupables à l'extérieur…»
Oui, et ses propos avaient fâché l'opinion congolaise. Mais il faut dire qu'il faut savoir passer l'éponge dans la mesure où il y a eu immédiatement une réaction aussi musclée de notre président, Son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi qui avait répondu, et nous pensons que c’est tout ça aussi qui fait une belle histoire, une belle histoire qu’il y a entre la France et la RDC.
En effet, Félix Tshisekedi avait répondu lors de cette visite du président français à Kinshasa : « Regardez nous autrement, en nous respectant et pas toujours avec un regard paternaliste et pas toujours avec l'idée de savoir ce qu'il faut pour nous »…
Oui, bien sûr. La RDC revendique sa maturité dans tous les domaines : politique, diplomatique et sa prise en charge existentielle.
Alors tout ça, c'était au sujet évidemment de la situation militaire dans l'est de votre pays. Qu'est-ce que vous reprochez aujourd'hui aux pays occidentaux, et notamment à la France ?
Le silence coupable de la communauté internationale, parce que la cause majeure, ce n'est pas une guerre des religions et une guerre d'idéologies, une guerre de valeurs, mais c'est une guerre de pillage des ressources naturelles.
Alors vous parlez de pillage et il y a quelques jours, vous avez mis en demeure la société Apple parce que vous l'accusez d'utiliser des minerais provenant des mines congolaises exploitées illégalement par le Rwanda…
Oui, c’est ce que nous appelons les minerais de sang. Des minerais de sang, des minerais de la fraude. Et pour ça, je pense que nous avons ici aussi en ligne de mire également l'accord que vous connaissez, le protocole d'accord d'entente entre l'Union européenne et le Rwanda et pour lequel nous réclamons jusqu'aujourd'hui qu'il puisse y avoir traçabilité et transparence. Une chaîne de valeur ne doit pas partir du milieu, elle doit partir dès l'origine, c’est-à-dire dès la production. On ne peut pas démarrer une chaîne de valeur essentiellement au point d'approvisionnement, mais il faut qu'on regarde aussi le point de la production.
La société Apple répond qu'à sa connaissance, il n'y a pas de minerais exploités illégalement. Elle se réfère à la certification iTSCi selon laquelle il n'y aurait pas de contrebande au bénéfice du Rwanda…
Reste à vérifier tout cela. Mais pour notre part, nous considérons que le Rwanda, jusqu'à preuve du contraire, ne dispose pas d'une cartographie minière prouvant réellement que ces minerais ont été exploités au Rwanda.
Cette mise en demeure devant la justice française, quelques jours avant l'arrivée du président Tshisekedi en France, ce n'est pas une coïncidence ?
Bien entendu, puisque déjà vous vous souviendrez, il y a eu des milliers de jeunes Congolais ici en France, en Belgique, à Londres et même aux États-Unis qui sont allés faire les sittings devant les enseignes de cette multinationale pour dénoncer justement la pratique en la matière qui favorise justement l'exploitation illégale de ce type de minerais stratégiques.
Qu'est-ce que le président Tshisekedi attend du président Macron ? Est-ce que vous demandez des sanctions internationales contre le Rwanda ?
Il est évident que la Société des Nations aujourd'hui est organisée sur base du droit international. Lorsque le droit international est violé, qu'est-ce qu'on fait ? Avec la Russie, comparaison n'est pas raison, mais on regarde parfois entre intellectuels. J'étais à la Sorbonne dans une conférence, les étudiants en relations internationales ont constaté que la situation de la RDC était pratiquement parallèle à la situation entre la Russie et l'Ukraine. C'est une violation, une agression…
Et vous venez d'ailleurs d'autoriser l'Ukraine à installer une ambassade à Kinshasa…
Nous sommes un pays indépendant, démocratique et souverain. Nous avons des relations diversifiées dans le monde et c'est le propre de tous les pays. Et donc, nous sommes en droit de demander des sanctions, parce que lorsqu’il y a eu violation du droit international, il n'y a pas autre chose. Lorsque la Russie est entrée en Ukraine, on a entendu par ci par là d'abord la condamnation, la demande de retrait, on ne s’est pas arrêté là, et on a exigé au terme des sanctions. Des sanctions, pourquoi ? Parce que l'intégrité territoriale, la souveraineté, l'indépendance de chaque État dans le monde est régie par des règles de droit international.
Donc vous voudriez que le président français prononce le mot sanctions contre le Rwanda ?
Je pense que ce serait faire justice, ce serait aussi prendre date dans l'histoire.
La semaine dernière, les présidents français Emmanuel Macron et rwandais Paul Kagame se sont parlé au téléphone et selon l'Élysée, Emmanuel Macron en a profité pour insister sur la nécessité de respecter l'intégrité territoriale de votre pays. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Nous pensons qu'il faut... On est des humains, on est des hommes, et il y a aujourd'hui la France qui se parlent avec l'Allemagne : tout est oublié parce qu'ils ont su se parler, ils sont arrivés à se parler, mais pour se parler, il faut le faire dans les règles du droit, de la justice. Il faut que finalement, en fin de compte, qu'on ait des réparations également.
Emmanuel Macron a également parlé récemment avec le président angolais Joao Lourenço, est-ce qu'on peut imaginer que le président français fasse médiation entre vos deux pays, le Congo et le Rwanda ?
La France a les atouts et la France devrait utiliser ces atouts-là.
La grosse journée, ce sera avec le déjeuner de travail entre Messieurs Macron et Tshisekedi et ensuite le forum économique à Bercy. Ce forum avec notamment le patronat français avec le Medef, qu'est-ce que vous en attendez ?
Nous attendons beaucoup. Nous pensons que la RDC aujourd'hui, avec son potentiel, est en phase de diversification de son économie. Je prends seulement le secteur agroalimentaire où la France est super champion du monde.
Pourquoi l’agroalimentaire ? Parce que vous êtes très loin de l'autosuffisance alimentaire ?
Très loin de l'autosuffisance alimentaire. Notre autosuffisance alimentaire aujourd'hui est couverte par 60 % en importations. Alors, comme vous l'avez dit, nous avons des terres arables, plus de quatre 4 millions d'hectares de terres arables.
Donc, vous avez un potentiel…
Nous avons un potentiel majeur, mais il faut maintenant le mettre en jachère, et pour cela, nous avons besoin aussi de l'expérience de ceux qui ont maîtrisé ces secteurs. Vous savez, pour le chef de l'État aujourd'hui, la RDC a fonctionné très longtemps en comptant sur les minerais et il faut maintenant que les sols prennent la revanche sur les sous-sols. Ça, c'est le leitmotiv du président de la République Félix Antoine Tshisekedi.
Mon, 29 Apr 2024 - 940 - Affaire Pascaline Bongo: «On espère un procès fin 2025, début 2026, mais rien en vue à court terme»
Pascaline Bongo a-t-elle monnayé ses pouvoirs quand son frère, Ali Bongo, était président du Gabon ? Lundi 22 avril, le tribunal correctionnel de Paris a jugé que non et l'a relaxée. Mais jeudi, le parquet national financier (PNF) a fait appel de cette décision. Il y aura donc un second procès. Surtout, la famille Bongo est visée par la justice française dans une autre procédure, celle des biens mal acquis (BMA). Et cette fois, Ali Bongo lui-même pourrait être poursuivi. Sara Brimbeuf est responsable du plaidoyer sur les flux financiers illicites à l'ONG Transparency International.
Sat, 27 Apr 2024 - 939 - Au Niger, «les États-Unis préservent mieux l'avenir que d'autres partenaires»
Au Niger, cela fait neuf mois, ce vendredi 26 avril, que le putsch a eu lieu et que le président Mohamed Bazoum est séquestré, avec son épouse, par les militaires qui l'ont renversé. Le fait marquant de ces dernières semaines, c'est le tournant anti-américain et pro-russe qu'ont pris les militaires du CNSP à Niamey. Est-ce à dire que les Américains ont perdu la partie au Niger ? « Ce n'est pas si simple», répond Jean-Hervé Jézéquel, qui est directeur du projet Sahel à l'International Crisis Group.
RFI : Neuf mois après, est-ce qu’on y voit plus clair ? Est-ce que l’ancien président Mahamadou Issoufou a joué un rôle dans ce putsch ?
Jean-Hervé Jézéquel : Alors, il y a eu beaucoup de rumeurs sur le rôle de l’ancien président Issoufou, du fait de sa proximité notamment avec le général Tiani qui était le chef de sa garde. Je n’ai vu aucun élément probant sur son implication… Et pour tout dire, je trouvais curieux qu’un président, qui s’est si longtemps méfié de ses propres forces de sécurité, leur confie aujourd’hui son avenir, au risque de ruiner un petit peu son héritage et notamment le parti politique qu’il a construit sur plus de quatre décennies et qui aujourd’hui est complètement déchiré. Par contre, ce qui est troublant, c’est la proximité qu’il affiche aujourd’hui avec une partie du CNSP [la junte au pouvoir au Niger]. Alors le président Issoufou a voulu jouer les médiateurs dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat, il semble aujourd’hui se ranger à la raison du plus fort, et cela n’aide peut-être pas à construire une transition qui assurerait un meilleur équilibre entre civils et militaires. Aujourd’hui, l’essentiel du pouvoir d’Etat est aux mains des hommes en uniforme et, dans un tel système, un démocrate n’a pas beaucoup d’avenir.
Pourquoi les pays de la sous-région de la Cédéao, ont renoncé à leur plan militaire contre la junte ?
Bon, la Cédéao n’en avait pas les moyens militaires d’une part, et puis, d’autre part, les opinions ouest-africaines n’y étaient pas favorables. Mais je crois que les pays de la Cédéao ont très vite compris qu’une telle intervention était non seulement hasardeuse, mais aurait pu aussi se retourner contre ses initiateurs. Au fond, je pense que la Cédéao a haussé le ton trop brutalement, trop vite, a un peu confondue vitesse et précipitation. Une fois le coup consommé, il n’y avait plus retour en arrière possible. Ce sur quoi il aurait fallu se concentrer à ce moment-là, mais c’est sûr que c’est facile de le dire aujourd’hui, c’est plutôt sur la forme de la transition. Négocier peut-être un meilleur équilibre entre civils et militaires, assurer une meilleure participation des forces politiques et de la société civile. Au Mali, lors de la première transition, en août-septembre 2020, la Cédéao avait plutôt su bien négocier… Là, en 2023, elle s’est avérée beaucoup moins efficace.
Est-ce que les Américains ont joué un rôle dans la décision des pays de la Cédéao de renoncer à toute intervention militaire ?
Les Etats-Unis n’ont soutenu au fond que du bout des lèvres l’action de la Cédéao, il était clair qu’ils ne croyaient pas non plus à la possibilité d’une intervention, passés les premiers jours, en tout cas pas d’une intervention réussie, et donc ils se sont engagés dans une approche accommodante à l’égard du CNSP, des nouvelles autorités, essayant, au fond, de préserver des relations, et puis de préserver aussi leurs bases. Au départ, ce n’était pas nécessairement un pari idiot, mais il est évident qu’il n’a pas fonctionné. Donc les Etats-Unis sont quand même rentrés en tension avec le CNSP, d’abord autour de son rapprochement avec des acteurs comme l’Iran et la Russie, et puis aussi du fait du refus du CNSP de fixer un calendrier de sortie de transition sous pression. Et donc cela a fini à conduire à l’impasse actuelle… Aussi, je pense qu’il semblerait que le CNSP est resté très méfiant à l’encontre de certains de ses voisins de la sous-région, et aussi de la France. Il soupçonne ces acteurs de vouloir soutenir des actions de déstabilisation, et donc, face à cette menace réelle ou pas, le CNSP a plus confiance dans l’allié russe que dans l’allié américain. Pour autant, on ne peut pas dire que les Etats-Unis ont été chassés du pays, ils maintiennent une présence, non-militaire. Ils maintiennent une présence à travers des programmes de développement et d’aide humanitaire, ils ont toujours un ambassadeur, présent à Niamey, ils réussissent à éviter une sorte de politique des blocs qui voudrait qu’on retourne à une forme de politique de la guerre froide où un pays est soit votre allié, soit votre adversaire. Et je trouve qu’en faisant cela, même si, à court terme, les Etats-Unis n’ont pas réussi dans la stratégie d’accommodement, ils préservent mieux l’avenir que d’autres partenaires.
Voilà neuf mois que le président Mohamed Bazoum refuse de signer sa destitution et paye ce courage de la prison dans laquelle il est enfermé avec son épouse… Est-ce qu’il n’y a plus aujourd’hui aucun espoir de libération pour lui ?
On espère que si. Son bilan était de loin le plus intéressant dans la région sur les quinze dernières années. Il refuse de démissionner sans doute parce que c’est un reflet de son parcours de démocrate, de démocrate convaincu, mais c’est aussi cela qui le maintien en détention jusqu’à aujourd’hui.
Et quel intérêt pour les militaires de vouloir le juger comme ils en montrent l’intention ?
Peut-être aussi, il s’agit de trouver un nouveau bouc émissaire. Ce qu’on peut surtout noter, c’est que pour l’instant le CNSP n’a pas véritablement mis en place un programme de transition, et qu’en dehors des choix dans le domaine sécuritaire, il n’a pas véritablement mis en place des signes de rupture positive pour le pays.
Est-ce qu’une solution négociée est encore possible pour la libération de président Bazoum, peut-être avec une médiation internationale ?
Oui peut-être. Beaucoup l’ont tenté ces derniers mois, on a vu plusieurs puissances, plusieurs pays de la sous-région essayer de jouer les médiateurs, jusque-là sans succès. Voilà, on espère qu’ils vont continuer, et qu’ils obtiendront une libération du président Bazoum, qui ne mérite pas à l’évidence le sort qui est le sien aujourd’hui.
Fri, 26 Apr 2024 - 938 - Pedro Pires: la lutte armée en Guinée fut «un des facteurs de changement du régime au Portugal»
C’était il y a 50 ans, jour pour jour. Le 25 avril 1974, de jeunes capitaines se sont soulevés au Portugal, ont fait tomber la dictature et ont ouvert la voie à l’indépendance des dernières colonies africaines. Du coup, aujourd’hui, plusieurs chefs d’État africains sont à Lisbonne pour célébrer cet anniversaire avec les Portugais. Leur présence est d’autant plus justifiée que ce sont les indépendantistes africains de l’époque qui ont fait chuter le régime dictatorial et colonialiste de Lisbonne. Pedro Pires a été successivement un commandant militaire du PAIGC d’Amilcar Cabral, puis le président du Cap-Vert.
RFI : Est-ce que la chute de la dictature portugaise aurait eu lieu sans le combat du PAIGC pour l’indépendance du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ?
Pedro Pires : Je crois que ce combat et la lutte dirigée par le PAIGC ont eu un rôle très important dans la création des conditions de la chute du régime installé au Portugal. Tenant compte qu’en 1973, nous avons eu des victoires militaires très importantes et, en même temps, nous avons eu des victoires politiques, diplomatiques très importantes. Le régime colonial au Portugal était dépassé, isolé. Le pays était en crise politique et militaire, les guerres coloniales ont eu un effet très pervers dans l’économie et, de mon point de vue, le pays n’était pas dans des conditions pour continuer la guerre. Il y avait des risques d’effondrement de l’armée coloniale. Mais on ne peut pas dire que les mouvements de libération étaient les seuls responsables de la chute du régime, car, en même temps, au Portugal, il y a eu des résistances contre la guerre coloniale, contre le régime. Mais, en effet, les luttes armées de libération nationale ont été le facteur le plus important pour la chute et le changement de régime au Portugal.
C’est-à-dire que les jeunes Portugais ne voulaient plus faire un service militaire de quatre ans, au risque de mourir en Guinée-Bissau ?
Pas seulement en Guinée-Bissau ! Ce qui s’est passé, c’est que la jeunesse portugaise n’était pas tellement engagée dans cette guerre. Il y avait des fuites des jeunes vers les autres pays d’Europe, il y avait des désertions importantes… Mais le facteur le plus important dans la chute du régime, c’était, en effet, la résistance et les combats des mouvements de libération et, particulièrement, du PAIGC. C’est vrai que, en Guinée, c’est là où le mouvement de libération dirigé par Amilcar Cabral a eu les plus grands succès qui ont provoqué les plus grandes déroutes pour l’armée portugaise. Donc, le PAIGC a eu un rôle très important pour le changement de régime au Portugal.
À lire aussiAmilcar Cabral, militant, diplomate et idéologue des indépendances africaines
Ce combat pour l’indépendance, monsieur le président, il débute dès les années 1960. L’armée portugaise s’accroche au terrain et lance même un raid sur Conakry, la base arrière du PAIGC en novembre 1970. Cette opération Mar Verde, est-ce qu’elle a servi la cause du Portugal ou, au contraire, celle du Guinéen Sekou Touré et du Bissau-Guinéen Amilcar Cabral ?
De mon point de vue, cette opération a démontré que le régime voulait trouver la solution à l’extérieur, avec cette invasion à Conakry, pour gagner la guerre qu’il avait déjà perdue à l’intérieur du pays. Ils voulaient essayer de trouver une victoire à l’extérieur quand la victoire à l’intérieur était impossible. C’est le signe du désespoir de l’armée portugaise, de la direction militaire et politique du Portugal. À la fin, le régime portugais était le perdant parce qu’il était plus isolé que jamais. Il y a eu une mobilisation internationale d’appuis, surtout africains, à la République de Guinée et au PAIGC.
Le chef des opérations militaires du Portugal en Guinée-Bissau, c’était le général Spinola. C’était un homme intraitable sur le terrain, mais c’était en même temps un homme politique intelligent qui a publié, deux mois avant la Révolution portugaise, un livre prémonitoire sur la nécessité d’ouvrir un dialogue politique avec vous, les maquisards indépendantistes. Est-ce qu’à l’époque, vous l’aviez rencontré secrètement ?
Non, le général Spinola, c’était un officier vedette qui se présentait comme victorieux, comme capable de vaincre le PAIGC, qui vendait son image politique, son image militaire… Qui, en effet, a changé la stratégie militaire en Guinée, qui a modernisé l’armée coloniale, c’est vrai, qui a fait une politique pour les populations, pour acheter les consciences des populations. Et qui avait essayé d’imiter ce que faisait le PAIGC. Donc, de mon point de vue, ce n’était pas un grand chef de guerre, mais il faisait sa promotion à l’intérieur du pays et à l’extérieur du pays. Et, en même temps, il a perdu la guerre en Guinée. Parce que nous, l’armée du PAIGC, nous avons eu des victoires très importantes sur l’armée portugaise à plusieurs reprises. Et il a lui-même reconnu dans une publication du 15 mai 1973 que l’armée portugaise n’était pas dans la condition d’affronter le PAIGC et que le PAIGC avait acquis des armes très puissantes, qui pouvaient mettre en cause la continuation de la guerre coloniale. En ce qui concerne l’aspect politique, la solution Spinola, c’était une espèce de fédération – ou quelque chose de pareil – mais qui ne prenait pas en compte ce que nous avions déjà fait. Parce que, nous-mêmes, nous avions déjà proclamé la République de Guinée-Bissau le 4 septembre 1973 ! Il a essayé de trouver une solution politique pour un cas perdu en présentant une solution néocoloniale. C’était peut-être très important pour la société portugaise, mais pour nous, cela n’avait aucune importance.
50 ans après les indépendances, le Cap-Vert est une vraie démocratie qui a connu plusieurs alternances, alors que la Guinée-Bissau est un pays très instable, qui a déjà connu quatre coups d’État meurtriers et 17 tentatives de putschs. Comment expliquez-vous que ces deux pays, qui étaient liés de façon aussi forte par le PAIGC d’Amilcar Cabral, connaissent aujourd’hui deux destins aussi différents ?
Nous, au Cap-Vert, on a essayé de mettre sur pied les vraies institutions crédibles, solides d’un État de droit, c’est le point de départ, avec la participation des citoyens. La différence, peut-être, c’est celle-ci. On a essayé et on a mis sur pied un État de droit où les gens, chacun a la parole.
Mais un mot, tout de même, sur la Guinée-Bissau : c’est le seul pays d’Afrique de l’Ouest qui a conquis son indépendance par la lutte armée. Est-ce que ce n’est pas la raison, au fond, pour laquelle les militaires, à commencer par le général Ansoumane Mané, il y a 25 ans, ont occupé et occupent toujours une telle place dans la politique de ce pays ?
La lutte armée en Guinée, il faut le reconnaître, vous-même, vous avez dit que c’était un facteur du changement de régime au Portugal. C’est vrai. La lutte armée en Guinée était victorieuse et héroïque. La question qui se pose, c’est la gestion après tout cela. Les changements qu’il fallait faire… Peut-être, je dis bien « peut-être », les dirigeants n’étaient pas tellement préparés pour voir quel serait le chemin à suivre, quelles seraient les réformes politiques et sociales à faire. Mais, vraiment, du point de vue des pays où les indépendances ont été acquises par la lutte armée, les armées ont eu un rôle très important. Et le problème, je crois que cela se maintient, c’est le danger de la nature du régime. C’est-à-dire, passer d’un régime avec certaines caractéristiques militaires où les armées jouent un rôle ou pas, en ce qu’elles sont les gardiens de l’indépendance du pays. Mais changer cela de telle nature que, au lieu de l’armée qui commande, c’est le peuple qui commande, c’est très difficile. Regardez un peu partout !
Thu, 25 Apr 2024 - 937 - Charles Michel (UE): «Les investisseurs et les businessmen espèrent de la stabilité en tous points»
Le président du Conseil européen, Charles Michel, est en tournée en Afrique de l’Ouest. Après le Sénégal où il a rencontré le nouveau président élu, Bassirou Diomaye Faye lundi soir, Charles Michel est ce mercredi en Côté d’Ivoire avant de se rendre demain au Bénin. Une tournée placée sous le signe de la relance de la coopération économique mais aussi sécuritaire.
Wed, 24 Apr 2024 - 936 - Biennale: Romuald Hazoumé place le féminisme béninois au cœur de Venise
Pour sa première participation à la Biennale de Venise, le Bénin a choisi le célèbre plasticien Romuald Hazoumé. À la 60ème édition de l’évènement sur l’art contemporain, l’artiste descendant de la royauté yoruba y présente une installation monumentale composée de plus de 500 de ses fameux masques-bidons, appelée « Ashé » qui signifie le pouvoir.
RFI: Le Bénin, hisse pour la première fois son drapeau à la Biennale de Venise. Le jour de gloire est arrivé ?
Romuald Hazoumé : Je ne crois pas, parce que si on dit que le jour de gloire est arrivé, ça veut dire qu'on est arrivé. Mais personne n'est arrivé, parce que nous, les artistes, on cherche à faire mieux chaque fois. Parce que là, après Venise, beaucoup de gens vont nous attendre, encore, ils nous connaissent déjà, mais la peur, c'est d'arriver à faire mieux ou, au moins, d'arriver au niveau où on est là, maintenant.
Que ressentez-vous, quand même ?
Une satisfaction d'être là, mais en même temps, j'ai beaucoup d’appréhension par rapport au monde qu'il y a. Il y a une grande sollicitation, donc ça me gêne un peu.
Fier, non ?
Oui, parce que c'est le côté qui manquait à ma biographie. C’est-à-dire que, le fait d'être à la Biennale de Venise, tout le monde sait que c'est une décision politique : c'est un pays qui prend un pavillon et qui décide qui y va. Et là, ça s’est fait.
Le pavillon béninois défend « Tout ce qui est fragile et précieux ». Éclairez-nous ?
Oui, tout ce qui est fragile et précieux, c'est-à-dire que nous avons oublié d'où nous venons. Nous avons oublié notre culture, qui est une culture bien ancrée, bien pure, bien forte, mais qui reste fragile, parce qu'elle va totalement disparaître – ça veut dire que nous allons disparaître aussi. Et cette culture-là est gérée par la femme, parce que quand on va en profondeur dans le thème, la spiritualité est protégée par les femmes. Ce sont les femmes qui sont les gardiennes du vaudou. C'est pour ça que le culte Guélédé est géré en l'occurrence par ces ashés, des femmes qui ont le pouvoir. Donc ma pièce s'appelle « Ashé » pour cette raison-là.
Ensuite, quand on prend les Amazones, ce sont des femmes, et la première qui a créé le corps des Amazones, c'est la Tassi Hangbé, qui a été l'une des reines du royaume du Dahomey. Donc c'est pour cette raison-là que, dans la pièce, je fais diffuser des panégyriques de la Tassi Hangbé, de quelques femmes célèbres, comme la Gnon Kogui du royaume de Nikki.
De l'autre côté, il y a 520 visages de personnalités béninoises. Chaque individu qui est dans cette installation devient une personnalité, parce que chacun porte ou une couleur ou un signe ostentatoire qui donne son appartenance à une culture donnée, à cette culture que nous tous fuyons, mais qu'on ne fuit pas : on reste hypocrites dessus, parce qu'on est des catholiques tropicaux, on est des musulmans tropicaux. Mais le soir, on sait où on se retrouve tous. Donc, en rentrant dans cette pièce, on salue déjà nos morts sur lesquels on passe, parce qu’ils sont enterrés là. Et, en relevant la tête, il y a plein d'étoiles dans le ciel qu'on regarde, ce sont aussi nos saints qui sont là-haut et qui veillent sur nous. Mais, quand on arrive juste au centre de la pièce, tous les masques nous regardent, c'est-à-dire que l'individu devient le centre du monde, c'est-à-dire qu'on ne pense pas à l'IA, on ne pense pas à sa voiture, on ne pense pas aux vêtements qu'on porte, on ne pense à rien du tout. Tout le monde te regarde : c'est toi, l'humain, qui est important. Et cet humain-là, c'est la femme.
Des thèmes que vous défendez depuis plus de 20 ans déjà, alors que personne ne croyait à l'existence même d’un art contemporain venant du Bénin ?
Oui, le Bénin a une particularité : quand on voit les gouvernements successifs qui l’ont dirigé, il y a eu le gouvernement de Mathieu Kérékou, où c'étaient plutôt des cathos, cathos, cathos... Des cathos tropicaux surtout, et qui ont complètement perdu le Nord. C'est-à-dire qu’on pense à notre culture, mais il faut l'effacer. Il faut aller prier dans l'Église parce qu'on s'appelle Mathieu ou Pierre… Et quand on revoit l'autre gouvernement qui a suivi, ce sont des évangélistes tropicaux aussi. Et quand on voit le gouvernement [du président Patrice] Talon aujourd'hui, qui redonne de la valeur à notre culture, parce que c'est la seule chose que nous ayons à partager – parce qu'on n'a pas de pétrole, on n'a pas d'or –, ça nous remet les pieds sur terre, ça nous remontre qui nous sommes.
Et je peux vous assurer que les pièces qui ont été rendues par la France, c'est vraiment une revalorisation de notre culture. Nous regardons moins l'Occident et ça nous apporte énormément, comme, depuis 20 ans, ça m'apporte beaucoup.
Romuald Hazoumé, justement, créer pour recréer un monde auquel on a volé ses racines ?
Non, la finalité n'est pas de revendiquer vraiment quelque chose ou de dénoncer quelque chose. La finalité, c'est que je me sente bien avec ce que moi, je fais. Voilà.
Quelle est la seule vérité qui compte à vos yeux d'artiste et d'homme libre ?
C'est de ne pas se mentir à soi-même !
À lire aussiL’artiste béninois Romuald Hazoumè: «De l’Occident vers l’Afrique, je renvoie de l’intelligence»
Tue, 23 Apr 2024 - 935 - En Libye: «Sans pression extérieure, il n’y aura pas de solution politique à moyen terme»
La démission, mardi 16 avril, d'Abdoulaye Bathily, qui était à la tête de la Mission des Nations unies en Libye (Manul) remet en lumière un conflit qui dure depuis 2011, mais qui est presque tombé dans l'oubli. Avec la dégradation de la situation internationale et la multiplication des conflits, la Libye n'est plus la principale préoccupation de la communauté internationale. Cette démission - qui n'est pas la première à ce poste - révèle l'aspect quasiment inextricable de cette mission de l'ONU, confrontée aux divisions internationales et internes qui prédominent en Libye, comme l'affirme Kader Abderrahim, chercheur et auteur du recueil Géopolitique de la Libye, édité en mars chez Bibliomonde. Il répond aux questions d'Houda Ibrahim.
RFI : Peut-on considérer aujourd'hui, après la démission d’Abdoulaye Bathily, que la situation est totalement bloquée ?
Kader Abderrahim :Elle l'était avant la nomination d’Abdoulaye Bathily, puisque après la démission de son prédécesseur, Jan Kubis, il a fallu plusieurs mois afin que l'ONU et les pays rivaux se mettent d'accord sur un nouvel émissaire. Donc la situation de blocage préexistait. Et, aujourd'hui, je dirais qu’elle n’est pas pire, ni meilleure, d'ailleurs. C'est cela qui est inquiétant, parce que je crois qu'il faudra encore plusieurs mois pour nommer un successeur à Abdoulaye Bathily, compte tenu des intérêts contradictoires : d'abord des Libyens, mais également des pays qui s'ingèrent dans cette situation et dans ce chaos libyen.
On remarque que le seul envoyé spécial africain (sur neuf), Abdoulaye Bathily, n'a pas été aidé par les démocraties occidentales. Pourquoi, à votre avis ?
Encore une fois, c'est parce que je crois qu'il y a des intérêts contradictoires et que, dans le fond, notamment pour les pays qui ont participé à la guerre en 2011. Pour la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, via l'Otan - ce qui était une manière de contourner aussi le Conseil de sécurité, mais surtout l'Union africaine -, leurs intérêts sont contradictoires. Mais, également, ils considèrent que le statu quo, dans la mesure où le conflit ne déborde pas des frontières libyennes, leur convient parfaitement. Alors c'est à géométrie variable, parce que parfois le conflit déborde, et notamment sur la question migratoire qui est un enjeu extrêmement important pour la politique intérieure des États européens. Rien n'a été fait effectivement pour soutenir la démarche d'Abdoulaye Bathily, qui a eu beaucoup de mal et qui, dans la conférence de presse qu'il a faite pour annoncer sa démission, a aussi exprimé sa grande déception à l'égard du multilatéralisme.
Que signifie alors ce nouvel échec pour l'ONU en Libye ?
C'est la preuve que, dans le fond, lorsque les grandes puissances ne trouvent pas de terrain de convergence, de compromis, les conflits s'enlisent. Et on préfère un conflit gelé - c'est le cas en Libye -, à un conflit ouvert, qui nécessiterait évidemment des mesures plus énergiques : on l'a vu récemment entre l’Israël et l'Iran, on le voit à propos de l'Ukraine. Il semblerait que le conflit en Libye, qui n’est aujourd’hui pas seulement politique, mais qui est aussi un sujet de défense et de sécurité, puisse être contenu dans les frontières libyennes. Et tant qu'il ne déborde pas, finalement, les Européens et les Américains considèrent que leurs intérêts sont épargnés et que, dans le fond, ils peuvent se satisfaire d'une situation qu'ils ont eux-mêmes créée avec la guerre en Libye en 2011.
Quels sont les scénarios à venir pour ce pays ? Les États-Unis, via la numéro deux de la Manul, vont-ils prendre les manettes de ce dossier ? Et quelles implications cela suppose ?
D'abord, ça permet aux États-Unis de garder la main sur le dossier. Et, deuxièmement, encore une fois, cela permettra aux Américains de dicter ou d’orienter globalement les propositions que pourrait faire la successeure. Ceci étant, il y a aussi d'autres enjeux puisque, à travers les États-Unis, ceux qui agissent en seconde main, ce sont notamment les pays du Golfe, avec les Émirats arabes unis, avec l'Égypte, qui ont des intérêts stratégiques importants. C'est un pays frontalier de la Libye et que les alliés des Américains seront sans doute confortés par cette nomination à venir. Évidemment, il faut qu'elle soit confirmée.
Mon, 22 Apr 2024
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