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- 948 - Niger: «Mahamadou Issoufou est le commanditaire du putsch», selon la fille du président déchu Mohamed Bazoum
Hinda est l’une des cinq enfants du président nigérien Mohamed Bazoum, qui est séquestré depuis neuf mois à Niamey avec son épouse. Ce mardi matin, en exclusivité sur RFI, elle lance un « appel de détresse » en faveur de la libération de ses parents. Et elle accuse l’ancien président Mahamadou Issoufou, d’être non seulement à l’origine du putsch qui a renversé son père en juillet 2023, mais aussi d’être derrière les poursuites judiciaires dont son père est menacé vendredi prochain devant la Cour d'État de Niamey.
RFI : Dans une tribune, vous dites que le cerveau du putsch [du 26 juillet 2023] n'est autre que l'ancien président Mahamadou Issoufou, l'ami de toujours de votre père. Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
Hinda Bazoum : À son comportement, tout d'abord. Il n'a jamais condamné le putsch. Pire, il s'affiche même aux côtés des putschistes. Il est allé présenter ses vœux pour l'Aïd et saluer [le général] Tiani au palais présidentiel. Quel démocrate fait ça ? Il était l'ami de notre père, mais n'a fourni aucun effort pour lui. Il n'a jamais cherché à le rencontrer ni à exiger sa libération. Il n'a jamais cherché à rentrer en contact avec nous, les enfants. Chose plus curieuse encore, lorsque la communauté internationale souhaitait exiger un retour à l'ordre constitutionnel, au lieu d’abonder dans le même sens, il a plutôt plaidé pour une courte transition, une nouvelle Constitution et de nouvelles élections, sûrement pour pouvoir revenir au pouvoir. Lui qui se voulait grand démocrate est en fait un grand dictateur.
Est-ce que vous pensez que Mahamadou Issoufou a pris le train en marche, qu'il a profité du putsch pour faire ce que vous dites ?
Non, pas du tout. C'est bien lui le commanditaire du putsch. L'idée a mûri dans la tête d'une seule personne, Mahamadou Issoufou. Mon père était sûrement devenu trop gênant pour les gens de son clan. Du temps de mon père, il faut dire que la lutte contre la corruption était bien lancée. Elle avait permis l'arrestation de 40 cadres par la justice, dont les membres du parti PNDS de mon père, ce qui est inédit au Niger et qui prouve que la justice était indépendante. Il était en train de mettre fin à l’affairisme, à la gabegie au sommet de l'État. Et c'est là qu'Issoufou s’est senti en danger à travers les intérêts de ses amis et, certainement, les siens.
Donc il a véritablement dupé votre père dans les derniers jours d'avant le 26 juillet ?
Beaucoup plus, il l'a trahi. Il a trahi tout un peuple, il a trahi ses amis de lutte. C'est comme un cauchemar pour nous.
Hinda Bazoum, vous allez plus loin puisque vous dites aujourd'hui que la menace de levée d'immunité de votre père afin de pouvoir le juger pour haute trahison, c'est une manœuvre de l'ancien président Issoufou lui-même…
Oui, tout à fait, parce que, face à la résistance de mon père, à son refus de démissionner, je pense que c'est quelque chose qu'ils n'ont pas imaginé au début. La dernière cartouche d'Issoufou serait de lever l'immunité de mon père pour le faire condamner, de sorte à le rendre inéligible pour laisser le champ libre à Issoufou de cette manière. Et ils ont créé de toutes pièces une nouvelle Cour d'État qui se substitue aux tribunaux de la Constitution, à la tête de laquelle est nommé un proche d’Issoufou.
L'audience de la Cour d'État de Niamey est prévue vendredi prochain, qu'est-ce que vous attendez des magistrats de cette Cour ?
J'espère qu'ils feront preuve d'impartialité. C'est un rendez-vous avec l'histoire qui se présente à eux, il faut qu'ils en aient conscience.
Si votre père démissionnait de ses fonctions de président de la République, tout irait mieux pour lui, font savoir les officiers putschistes. Pourquoi refuse-t-il de démissionner ?
Je ne pense pas que tout irait mieux pour lui, non. Et mon père ne démissionne pas parce que c'est un démocrate sincère. Il est courageux et ce combat, il le mène pour le Niger tout entier et pas que pour lui. C'est un homme de principes, mon père, et je peux vous assurer qu'il continuera le combat.
En janvier, Hinda Bazoum, votre frère Salem, qui était séquestré avec vos parents, a été libéré. Est-ce que vous avez cru à ce moment-là que c'était bon signe pour vos parents ?
Oui, bien sûr. C'était déjà un premier soulagement pour nous que notre petit frère sorte de cette prison. On a espéré et rien n'est jamais venu. C'est dur pour nous, vraiment très dur.
C'est le Togo et le président Faure Gnassingbé qui ont aidé par leur médiation à la libération de votre petit frère. Est-ce que ce pays ou d'autres pays de la Cédéao peuvent intercéder en faveur de votre père et de votre mère ?
Oui, bien sûr. Et d'ailleurs, nous appelons les démocrates sincères et la Cédéao, qui a toujours rendu hommage à la bonne gouvernance de mon père, à nous aider à obtenir la libération de nos parents et à rétablir la démocratie au Niger. Il est du devoir des chefs d'État africains effectivement de défendre la démocratie et d'obtenir la libération de nos parents.
Donc c'est un appel que vous leur lancez ?
C'est un appel que je lance effectivement. Un appel de détresse !
Hinda Bazoum, c'est la première fois que vous vous exprimez de vive voix dans un média international. Je sais que ce n’est pas facile pour vous de prendre la parole. Pourquoi tenez-vous à le faire aujourd'hui ?
Parce que l'heure est grave. Si je sors du silence, c'est parce qu'il y a urgence. J'ai décidé de prendre la parole au nom de mes frères et sœurs pour dénoncer cette injustice et surtout désigner l'unique responsable. Nous nous sentons abandonnés et on espère sincèrement que la communauté internationale n'oubliera pas nos parents.
Avez-vous peur qu'on oublie vos parents ?
Effectivement, c'est une peur, mais nous espérons que mon appel sera entendu et que notre voix sera portée loin pour la libération de nos parents et la démocratie au Niger.
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Tue, 07 May 2024 - 947 - Centrafrique: «Sur le terrain, la coopération entre Faca et Minusca est une avancée»
En Centrafrique, voilà tout juste deux ans que la diplomate rwandaise Valentine Rugwabiza dirige les 14 000 casques bleus de la Minusca, l’une des plus importantes missions de l’ONU dans le monde. À son arrivée, les relations de la Minusca avec le pouvoir centrafricain étaient tendues. Aujourd’hui, elle se félicite d’avoir « rétabli une coopération productive ». Mais comment se passe la cohabitation de ses casques bleus avec les paramilitaires russes de Wagner ? Entretien.
RFI : Vous avez rencontré récemment le Chef d'état-major des FACA, les forces armées centrafricaines. Sur le terrain, comment ça se passe ? Vous faites des patrouilles mixtes ?
Valentine Rugwabiza : Nous avons une très bonne collaboration et coopération ensemble et cela, clairement, c'est une des avancées du travail qui a été fait au courant de ces deux années. Notre coopération se traduit justement par un mieux faire et un plus faire, ensemble. Et ce mieux faire, ce plus faire, ce sont des patrouilles mixtes, mais c'est aussi un soutien au déploiement, y compris dans des zones où les forces armées centrafricaines n'ont pas été présentes depuis des décennies. Nous avons eu l’opportunité de le faire à la frontière avec le Soudan et à la frontière au sud-est du pays.
Et vous avez assez d'équipements ? Est-ce qu'il ne faut pas faire plus, au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU ?
C'est un défi très clair et je saisis l'opportunité de vos antennes larges. Ceci est un défi que j'ai porté à l'attention du Conseil de sécurité. Dans un pays comme la Centrafrique, nous avons besoin de beaucoup plus de capacités logistiques. Il s'agit d'un immense pays, mais où il n'y a quasiment pas d'axes routiers. Donc clairement, nous sommes aujourd’hui à une phase où, pour stabiliser et consolider les acquis, nous avons besoin que d'autres partenaires investissent dans des projets d'infrastructures. Donc il est très bienvenu que la Centrafrique soit en train de renouer un certain nombre de partenariats bilatéraux.
Il y a aussi d'autres forces de sécurité sur le territoire centrafricain, notamment les quelque 2 000 paramilitaires russes. Il y a quelques semaines, le ministre centrafricain de la Communication, Maxime Balalou, a déclaré que des soldats russes se déployaient dans le sud-est pour faire face à la montée de l'insécurité. Est-ce à dire que vous cohabitez, voire faites des patrouilles mixtes entre la MINUSCA et ces paramilitaires russes ?
Cela je peux vous le dire, absolument pas. Effectivement, nous intervenons sur un terrain où il y a plusieurs acteurs. Cependant, nos mandats sont différents. Notre mode opératoire, c'est un mode opératoire de travail avec les forces centrafricaines, pas avec d'autres personnels de sécurité. Et notre redevabilité est connue. Nous sommes redevables aux membres des Nations unies, au Conseil de sécurité et au siège des Nations unies.
Mais sur le terrain, en province, les casques bleus côtoient les autres forces de sécurité qui sont là. Et comment ça se passe cette cohabitation, notamment avec ces forces de sécurité russes ? J'imagine qu'il y a quand même… ne serait-ce que des échanges d'informations, non ?
Eh bien, ces échanges n'existent pas. C'est pour ça que je n'utiliserai pas le mot « côtoyer », parce que nous opérons de manière différente, de manière parallèle. Si parfois il y a besoin absolument d'avoir un échange d'informations, nous le faisons par la partie centrafricaine et les forces centrafricaines. Je suppose qu'elles jouent leur rôle de coordination avec tous ceux qui sont invités sur leur territoire.
Valentine Rugwabiza, vous êtes une grande diplomate rwandaise et il y a actuellement sur le territoire centrafricain quelque 3 000 soldats rwandais, 2 000 pour la MINUSCA et quelque 1 000 hommes dans le cadre des relations bilatérales entre Kigali et Bangui, certains d'ailleurs pour faire la protection rapprochée du président Touadéra. Est-ce que c'est peut-être aussi votre nationalité qui a permis de rétablir une coopération, comme vous dites, « productive » avec les autorités centrafricaines ?
En réalité, cette coopération productive, elle est basée non pas sur un passeport ou sur une nationalité. Elle est basée sur des actions très concrètes. À la prise de mes fonctions, les autorités centrafricaines, ce qui est normal, et le gouvernement, ont attendu de voir comment j'allais mettre en œuvre mes priorités et si j'avais l'intention de travailler en étroite coopération. Donc, je ne pense pas que ce soit mon passeport qui était considéré, mais plutôt les actions et les choix.
Mais franchement, Madame Rugwabiza, le fait que vous veniez d'un pays qui a une coopération très forte avec la République centrafricaine, ça ne vous facilite pas les choses, quand même ?
Il est clair que je suis personnellement reconnaissante envers mon propre pays pour sa contribution et que cette contribution, qui est très appréciée par la partie centrafricaine, clairement oui, vous donne un quota de confiance au départ, mais ce n'est qu'un quota. Vous devez démontrer ensuite par des actions concrètes si, effectivement, cette confiance octroyée était méritée.
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Mon, 06 May 2024 - 946 - «Déborder l'anthropologie», une exposition pour «faire émerger des figures peu connues en France»
Jusqu'au 12 mai, le musée du quai Branly met à l’honneur trois femmes afro-américaines : la danseuse Katherine Dunham, la romancière Zora Neale Hurston, et la militante Eslanda Goode Robeson. Trois femmes qui, par leur art et leur conscience politique, ont contribué à donner un éclairage neuf sur les passerelles culturelles entre Afrique et Amérique. Entretien avec Sarah Frioux-Salgas, commissaire de l'exposition intitulée Déborder l'anthropologie.
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Sat, 04 May 2024 - 945 - Haman Mana, journaliste camerounais: «Martinez Zogo était traqué plusieurs jours avant sa mort»
J'aime l'odeur de l'encre au petit matin sur le papier, C'est le titre d'un ouvrage qui vient de sortir aux Éditions du Schabel. C'est un hommage à la presse écrite, où son auteur, le journaliste camerounais Haman Mana, raconte ses 35 années de combat pour la liberté d'expression. Sa solidarité avec le prisonnier Amadou Vamoulké, sa dernière rencontre avec le journaliste supplicié Martinez Zogo. En ligne des États-Unis, où il vit actuellement, et à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, Haman Mana témoigne au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : C'est pendant les années de braise [crise politique camerounaise de 1990-1992] que vous débutez dans le journalisme. Pour le journal pro-gouvernemental Cameroon Tribune, vous couvrez la présidentielle de 1992 où, officiellement, Paul Biya arrive premier de justesse devant John Fru Ndi. Comme reporter, vous êtes aux premières loges à la commission nationale de recensement des votes et, aujourd'hui, vous écrivez : « J'ai assisté en direct au fonctionnement de cette moulinette qui se met en marche, à chaque fois, pour reconduire les mêmes aux commandes du Cameroun ».
Haman Mana : Oui, bien sûr. Cette présidentielle a lieu en octobre 1992. Mais, il y a avant, au mois de mars ou avril 1992, des législatives où, clairement, l'opposition les a remportées. L'opposition a gagné parce que le code électoral permettait que, dans chaque circonscription, on fasse immédiatement le décompte et la promulgation des résultats sur place. C'étaient les présidents des tribunaux locaux qui étaient les présidents des commissions électorales. Après avoir perdu les législatives de 1992, le gouvernement s’est donc juré de ne plus jamais rien perdre. Et c'est comme ça que, lors de la présidentielle, le scénario a été mis en place pour ne pas perdre l'élection, où tout le monde est aujourd'hui d'accord pour dire que John Fru Ndi avait gagné.
Cinq ans plus tard, en 1997, nouvelles législatives, avec ce que vous appelez «la mise en place d'une machine de fraude électorale sans précédent ». À ce moment-là - vous venez de prendre la direction du journal Mutations -,vous décidez de prendre la plume ?
Oui, j'avais écrit à l'époque un éditorial qui avait pour titre Ballot or Bullet, ce qui veut dire : « le bulletin de vote ou les balles ». C'est-à-dire que, si on ne peut pas s'exprimer par le bulletin de vote, finalement, c'est une affaire qui va s'achever dans le sang. Bon, en anglais, il y'a la belle allitération Ballot or Bullet. En français, ce n'est pas possible, mais c'est comme ça que je le disais déjà en 1997. D'ailleurs, ça nous a valu l'interdiction du journal Mutations pendant quelque temps, mais à l'époque, c'était déjà cela.
Je relis aujourd'hui votre article de 1997, vous écrivez : « L'alternance est-elle possible au Cameroun par la voix des urnes ? La réponse est - hélas - non. »
Oui, il y a 25 ans. Aujourd'hui, je le réitère. Depuis ces années-là, le contrôle sur les votants, sur les votes et sur les résultats est constant et permanent. C'est pour ne pas avoir de surprise à la fin.
Parmi les personnalités qui sont toujours en prison à l'heure actuelle dans votre pays, il y a votre confrère Amadou Vamoulké. Dans votre livre, vous montrez la Une d'un journal où vous l'interviewez sous le titre Mes vérités à propos de la CRTV - la radiotélévision publique camerounaise, qu’Amadou Vamoulké avait justement dirigée à l'époque. Pensez-vous qu'il est vraiment en prison, comme le dit officiellement la justice, pour «détournement de biens publics » ?
Non, ce n'est pas possible. Si Monsieur Amadou Vamoulké devait être en prison, ça ne serait pas pour détournement de biens publics. Non, ce n'est pas possible. S'il était en prison pour détournement de deniers publics, pourquoi, aujourd'hui, nous en sommes à quelque 80 renvois juridiques ? C’est unique dans les annales de la justice dans le monde. On tourne à la centaine de renvois... Vous imaginez, une centaine de renvois ? Pour un procès en pénal ? C'est intenable pour cet homme qui, d'ailleurs, vient de perdre son frère cadet. Monsieur Amadou Vamoulké a perdu son frère cadet hier et c'est le quatrième frère qu'il perd depuis qu'il est en prison... Ce n'est pas possible !
En janvier 2023, c'est l'assassinat du journaliste Martinez Zogo, à Yaoundé. Vous révélez que, quatre jours avant son enlèvement, il vous a rendu visite au siège de votre journal Le jour à Yaoundé et vous a confié que des gens de l'entourage de l'homme d'affaires Jean-Pierre Amougou Belinga le menaçaient de plus en plus. Et il a eu cette phrase, en parlant de ces gens : « Ils sont devenus fous, ils se croient tout puissants. En tout cas, je ne vais pas les lâcher ».
Exactement. Monsieur Martinez Zogo est venu à mon bureau et il m'a dit : « Écoute, tout le monde a peur de Jean-Pierre Amougou Belinga dans ce pays. J'ai l'impression qu'il n’y a que toi et moi, peut-être, qui avons le courage et le toupet de dire autre chose par rapport à Amougou Belinga». Je lui ai dit que je n’avais pas de soucis, et c'est là qu'il a commencé à me parler, à me dire qu’il était visé et que je l’étais également. Ce n'était pas une pratique courante au Cameroun, ça n'était jamais arrivé, le fait qu'on enlève un journaliste, qu'on aille l'exécuter quelque part après l'avoir menacé... Et Martinez Zogo, on voyait qu'il avait peur. C'était un garçon courageux, mais on sentait quand même qu'il avait peur, puisqu'au moment où je suis sorti pour le raccompagner, j'ai vu qu’il avait loué un taxi, qu'il l’avait garé très, très loin. Il était absolument sur ses gardes, donc il était déjà traqué. Plusieurs jours avant, il se sentait traqué. Il fonctionnait déjà avec un taxi en location, il était déjà traqué.
Fri, 03 May 2024 - 944 - Centrafrique: ce mandat d’arrêt contre François Bozizé va dévoiler «certains crimes qui se déroulaient à l’abri des regards»
L'ancien président centrafricain François Bozizé, qui est réfugié en Guinée-Bissau, répondra-t-il un jour des graves crimes dont il est accusé ? Mardi soir, on a appris que la Cour pénale spéciale de Bangui le poursuivait pour de possibles crimes contre l'humanité et avait lancé contre lui, il y a deux mois, un mandat d'arrêt international. Mais de quoi est-il accusé précisément ? Maître Bruno Hyacinthe Gbiegba est avocat et coordonnateur adjoint du Réseau des organisations de promotion et de défense des droits de l'homme en Centrafrique. Il est aussi membre de l’ACAT-RCA, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. En ligne de Bangui, il répond aux questions de RFI.
RFI : Les juges de la Cour pénale spéciale ont émis ce mandat d'arrêt dans le cadre d'une instruction sur de possibles crimes contre l'humanité commis par la garde présidentielle de François Bozizé dans la prison militaire de Bossembélé, au nord-ouest de Bangui. D'après vos informations, qu'est-ce qu'il se passait dans cette prison militaire ?
Maître Bruno Hyacinthe Gbiegba : Pendant cette période-là, les militants des droits de l'Homme ne cessaient de décrier les conditions de détention et certains crimes qui se déroulaient à l'abri des regards. Et donc, aujourd’hui, avec ce mandat d'arrêt qui est lancé et les témoignages des victimes, cela nous permettra d'avoir un éclairage.
Les investigations de la Cour dans cette prison portent sur la période 2009-2013. D'après vos informations, maître Gbiegba, combien de personnes ont pu être persécutées dans cet endroit pendant quatre ans ?
Au niveau de Bossembélé, il y avait des rebelles qui étaient arrêtés, là-bas, il y avait certains hommes politiques, il y avait des prisonniers de droit commun, mais c'est difficile de vous donner un chiffre parce qu’il y a certaines victimes qui se sont déclarées, mais d'autres avaient la peur au ventre. Et encore, certaines victimes ont disparu. Mais on savait au moins qu’il y avait des dérapages graves, il y avait des atteintes à la vie des gens qui se passaient là-bas.
Sous le régime de François Bozizé, il y a un cas emblématique : c'est celui de son ministre Charles Massi, qui est passé ensuite dans l'opposition, qui s'est réfugié un temps au Tchad, qui a été remis aux militaires centrafricains par des militaires tchadiens – c'était en décembre 2009 – et, depuis ce transfert, il a disparu. Est-ce qu'il aurait pu passer par cette sinistre prison militaire de Bossembélé ?
Il y a seulement des rumeurs qui évoquent ce cas. Mais vous savez, moi qui suis juriste, je ne peux pas me contenter de rumeurs. Jusqu'à ce jour, je ne sais pas exactement ce qui est arrivé à cet homme politique.
En tout cas, on n'a jamais retrouvé son corps.
On n'a jamais retrouvé son corps, donc on n'a jamais su ce qu’il s’était passé et, jusqu'à ce jour, il n'y a aucune déclaration officielle ou aucune preuve, donc je ne peux pas me contenter de rumeurs.
Et François Bozizé s'est-il exprimé là-dessus, depuis la disparition de Charles Massi ?
Il ne s’est jamais exprimé, c'est pour cette raison que je vous dis qu’il n'y a jamais eu une déclaration officielle sur la question.
Mais est-ce que vous pensez sérieusement, maître, que la Guinée-Bissau va accepter d'extrader François Bozizé ?
Si la République centrafricaine a signé un accord judiciaire avec la Guinée-Bissau, je ne vois pas pourquoi la Guinée-Bissau n'accepterait pas de livrer l'ancien président François Bozizé.
Mais n'y a-t-il pas eu, l’an dernier, une médiation politique de l'Angola pour que François Bozizé quitte le Tchad pour la Guinée-Bissau et s'engage à ne plus s'exprimer publiquement en échange d'une protection à Bissau ?
Nous, nous ne maîtrisons pas l'agenda politique. Nous nous occupons du volet judiciaire et nous luttons contre l'impunité. Par voie de conséquence, nous demandons à ce que les accords politiques ne soient pas une occasion de faire la promotion des criminels.
Alors la Cour pénale spéciale de Bangui n’enquête pas seulement sur les crimes commis sous le régime de François Bozizé, elle est chargée aussi d'enquêter sur les crimes commis après la chute de François Bozizé, c'est-à-dire après mars 2013. Est-ce que la Cour traque avec la même détermination les criminels d'après mars 2013 ?
C'est ce que nous sommes en train de déplorer. Il y a des cas qui continuent de se commettre. Lorsque nous étions revenus de [la conférence de] Khartoum après 2019, il y a eu des crimes qui ont été commis par certains éléments des 3R et il y a des crimes qui ont même été commis avant 2019, donc à Alindao, à Mobaye, à Ippy. On n'a pas encore poursuivi ces cas. Et nous avons le cas de monsieur Hassan Bouba, qui a été arrêté par la Cour pénale spéciale, mais qui a été libéré de force par le gouvernement. Il continue de siéger au gouvernement. Donc aujourd'hui, c'est pour cette raison que nous demandons à la Cour pénale spéciale de poursuivre tous les cas, en toute indépendance et neutralité.
Et est-ce que, à votre connaissance, il y a beaucoup de mandats d'arrêt qui ont été lancés par la Cour pénale spéciale et qui n'ont toujours pas été exécutés ?
Il y a aujourd'hui beaucoup de mandats d'arrêt internationaux qui ont été lancés par la Cour pénale spéciale. La plupart de ces mandats n'ont pas encore été exécutés alors que le gouvernement a la possibilité d'arrêter des gens, pour ceux qui sont à Bangui. Et lors du premier mandat de notre président de la République, il avait lancé ce slogan « impunité zéro » et donc nous attendons à ce qu'on mette en pratique ce slogan qui consiste à lutter d'une manière implacable contre l'impunité.
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Thu, 02 May 2024 - 943 - En Afrique de l’Ouest, l’organisation de collectifs pour pallier un «syndicalisme émietté»
En Afrique de l’Ouest, les travailleurs célèbrent le 1ᵉʳ-Mai dans un contexte syndical en crise. Émiettement des syndicats, éloignement de leur base, comme au Sénégal. Dans les pays du Sahel, dans des contextes de restriction des libertés, la lutte syndicale peine également à se faire entendre. Le professeur Babacar Fall de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, et de l’Institut d’études avancées de Saint-Louis au Sénégal, est historien spécialiste des questions du travail. Il est notre invité ce matin.
Professeur Fall, est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui, le syndicalisme au Sénégal, qu'est-ce que c'est ? Il ressemble à quoi ?
Je dirais que le syndicalisme ne se porte pas bien. Si l’on compare la situation des syndicats par rapport à la période qui a conduit vers les indépendances, où les syndicats ont véritablement joué un rôle moteur très important dans la lutte contre le colonialisme, dans la mobilisation des travailleurs à travail égal salaire égal, l'adoption du Code du travail, la lutte contre les injustices, la lutte pour l'avènement de l'indépendance. Les syndicats durant cette période ont véritablement joué le rôle de contre-pouvoir avec l'obtention de l'amélioration de la législation pour les travailleurs au regard des lois métropolitaines et au regard également des droits des travailleurs. Donc, ça a été très important.
Ensuite, après les indépendances, nous avons vu qu'il y a eu une démarcation dès le départ. Mamadou Dia a essayé d'amener les organisations syndicales à contribuer à la construction nationale. Les syndicats n'ont pas voulu appuyer le nouveau pouvoir et le dénouement a été tragique avec la grève de 1959 qui a abouti au licenciement de 3 000 travailleurs. Depuis cette période, il y a une tension entre la fraction des travailleurs voulant collaborer avec l'État et la fraction des travailleurs engagés à vouloir défendre les droits des travailleurs en toute autonomie syndicale. C'est véritablement la pierre d'achoppement.
Aujourd'hui, avec cette situation de crise économique, il y a une situation marquée par les licenciements, par la liquidation des entreprises, par la flexibilité du droit du travail. Il va sans dire que l'attente des travailleurs est de disposer des outils afin de pouvoir assurer la défense de leurs intérêts matériels et moraux pour pouvoir améliorer leurs conditions de vie.
Ces travailleurs ne trouvent donc pas les soutiens espérés ?
Ces travailleurs ne trouvent pas les soutiens espérés pour plusieurs raisons. La première, c'est que nous avons un émiettement syndical très remarquable. Aujourd'hui, on dénombre une vingtaine de confédérations syndicales. Si on se réfère simplement aux dernières élections de représentativité organisées en décembre 2023, nous avons eu 15 centrales syndicales qui ont participé aux élections, dans un contexte où la syndicalisation n’est plus très forte. Aujourd’hui, il est remarquable de constater que les syndicats n’attirent pas, du fait qu’ils ne s'imposent pas d'emblée comme le cadre qui peut prendre en compte la lutte contre les licenciements, la lutte contre la précarité. Et cette faible attractivité des syndicats n'est pas du tout en faveur de l'émancipation des travailleurs et de la défense de leur pouvoir d'achat.
On peut dire que les syndicats se sont trop formalisés. Ils sont devenus trop conventionnels. Et leur émiettement s'explique par des questions de démocratie interne, de démocratie syndicale. Les batailles de contrôle des différentes directions sont autant d'éléments qui font en sorte qu’il n'est pas rare de voir une centrale syndicale se fragmenter en trois ou quatre entités. C'est cela qui est regrettable et qui explique aussi que les syndicats ne sont plus des cadres attractifs pour amener les travailleurs à adhérer, à payer leur cotisation syndicale et à pouvoir véritablement s'identifier au syndicat en tant qu'instrument de lutte et de défense de leurs intérêts matériels et moraux.
Comment les travailleurs trouvent-ils les moyens de faire valoir leurs revendications ?
Les travailleurs sont relativement désarmés, et cela explique qu’il y a des mouvements de plus en plus spontanés qui s'organisent au sein de l'entreprise, avec des collectifs qui se mettent en place pour pouvoir défendre leurs droits. Et ce sont des actions à la base de mobilisation des travailleurs qui suppléent les faiblesses des syndicats. Vous avez par exemple le mouvement Frapp qui fait beaucoup d'agitation en direction des entreprises et qui prend en compte les revendications des travailleurs. Ce mouvement se fait l'écho de la voix et des protestations des travailleurs au niveau de l'opinion, au niveau des médias et au niveau du pouvoir politique. Donc ça je crois que c'est une illustration du fait que les syndicats ne sont pas au front dans la mobilisation pour la défense du pouvoir d'achat des travailleurs.
Je prends encore l'exemple de Dakarnave. Tout récemment, il y a eu une crise au sujet de sa convention. Pour assurer la gestion de Dakarnave, l’État voulait renouveler la convention avec un groupe de partenaires portugais. Mais cette nouvelle convention stipule la liquidation des acquis des travailleurs. Et la mobilisation s'est faite sur la base du comité mis en place au sein de l'entreprise pour pouvoir mettre la pression sur le gouvernement. Au premier plan, on ne voit pas la mobilisation des centrales syndicales pour pouvoir assurer la défense des travailleurs.
Ceci dans un contexte également marqué par le coût de la vie très élevé. Au Sénégal, le prix du carburant est de 990 francs le litre alors qu'au Burkina, nous sommes à 700 francs le litre. C'est à peu près le même prix au Mali. Cela participe de l'accentuation du coût de la vie et par rapport à cela, on ne voit pas très bien le rôle de front assuré par les centrales syndicales pour jouer le rôle de contre-pouvoir dans la détermination des prix, pour préserver le pouvoir d'achat des travailleurs.
Vous dressez un portrait du syndicalisme au Sénégal en perte d'influence. Est- ce que c’est le même constat pour toute l’Afrique de l'Ouest ?
Oui, je pense que le portrait du Sénégal cadre parfaitement avec ce que nous pouvons avoir au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Nigerou en Côte d'Ivoire, étant entendu qu’il existe des particularités selon les pays. Si vous prenez les pays sahéliens qui sont confrontés à des problèmes de sécurité, les syndicats sont confrontés à un autre défi, celui de devoir faire face aux restrictions de libertés. Par exemple, au Mali, des partis politiques ont été interdits d’activité. Il va sans dire que dans des conditions où les libertés sont confisquées par l'État, les libertés syndicales souffrent également. Mais du point de vue des tendances lourdes, à savoir le recul de la syndicalisation, la dispersion syndicale et les décalages entre la prise en compte de la défense du pouvoir d'achat des travailleurs par les syndicats, on constate effectivement que la situation est à peu près la même dans la plupart de ces pays.
Au Sénégal, l'arrivée du nouveau président va-t-il changer cette dynamique ?
La bonne nouvelle, c'est que, par exemple, pour le 1ᵉʳ mai, on reprend la tradition des défilés pour consacrer le respect des libertés syndicales. Ça avait été interdit pour des raisons disons de sécurité. Les syndicats étaient obligés d’organiser des rassemblements plutôt que les traditionnels défilés, démonstrations d'expression de la volonté des travailleurs de s'identifier à leur syndicat et de pouvoir effectivement exposer au grand public leurs revendications selon les différents secteurs. Je pense qu’il y a eu un recul sur cela ces trois dernières années et c'est heureux que la tradition des défilés cette année soit consacrée.
Le deuxième élément, je crois qu'il va y avoir une oreille plus attentive du nouveau régime au regard de sa sensibilité par rapport à la demande sociale et également à l'engagement même du pouvoir de devoir faire baisser les coûts de la vie. C'est heureux de constater qu'il y a déjà eu une rencontre entre des confédérations syndicales et le nouveau régime, pour amorcer la conversation sur les mécanismes pour pouvoir participer à la baisse du coût de la vie et par conséquence le renchérissement du pouvoir d'achat des travailleurs. Donc je pense que le nouveau régime ouvre une porte d'espoir. Il faut souhaiter que cette porte d'espoir se consolide et je crois que ça, c'est très important pour les travailleurs.
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Wed, 01 May 2024 - 942 - Mamadou Lamine Sarr: «Le Sénégal peut jouer l’intermédiaire entre les pays de l'AES et la Cédéao»
Après la Mauritanie et la Gambie, la Guinée-Bissau reçoit ce mardi le nouveau président sénégalais. Du temps de Macky Sall, les liens entre Dakar et Bissau étaient forts. Avec Bassirou Diomaye Faye, va-t-on vers le changement ou la continuité ? Et le chef de l'État sénégalais envisage-t-il de rencontrer aussi les officiers putschistes qui dirigent les trois pays voisins du Sahel : le Burkina, le Mali et le Niger ? Mamadou Lamine Sarr enseigne les sciences politiques à l'université Cheikh Hamidou Kane de Dakar. En ligne de la capitale sénégalaise, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Du temps de Macky Sall, les relations entre Dakar et Bissau étaient fortes, témoins les quelque 120 soldats sénégalais qui sont déployés à Bissau dans le cadre de la force de stabilisation de la Cédéao. Est-ce que tout cela pourrait changer avec le président Diomaye Faye ?
Mamadou Lamine Sarr : Je pense que ce sera plutôt l'inverse, ce sera une consolidation, à mon avis, de cette dynamique-là, parce qu’il y a quand même des intérêts économiques et, surtout, de sécurité au niveau de la frontière. La Guinée-Bissau est confrontée à de grands problèmes au niveau du narcotrafic. Le Sénégal a des difficultés encore au niveau de sa frontière, des difficultés héritées notamment du conflit avec le MFDC [Mouvement des forces démocratiques de Casamance, NDLR], donc le conflit casamançais. Il y a des intérêts communs mutuels pour que ces deux pays-là, à mon avis, consolident leurs relations.
Avec le contingent sénégalais, le président Macky Sall a pu consolider son alliance avec le président Sissoco contre les rebelles casamançais du MFDC. Et vous pensez qu'avec le président Diomaye Faye, c'est la même politique qui va être poursuivie ?
Tout à fait, je pense qu’il y aura une forme de continuité sur le conflit casamançais.
Avant la Guinée-Bissau, le président Diomaye Faye s'est rendu en Mauritanie. Dans le domaine énergétique, Bassirou Diomaye Faye veut renégocier le contrat du Sénégal avec British Petroleum en vue de l'exploitation à venir du gaz et du pétrole offshore. Mais c'est un gisement que le Sénégal partage avec la Mauritanie. Ne faut-il pas que les présidents sénégalais et mauritanien se mettent d'accord avant toute renégociation ?
Oui, je pense que c'est une condition. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le président Diomaye Faye, entre autres, s'est rendu en Mauritanie. Il est important de discuter de cela. Mais au-delà même de la possibilité, et peut-être de la nécessité, de s'accorder avec la Mauritanie… Avec ses spécialistes, le président Diomaye Faye a très certainement réévalué l'accord qui a été signé et s'est rendu compte, peut-être, à son avis, que les intérêts du Sénégal n'étaient pas assez défendus. Maintenant, est-ce que ce contrat-là, il y a une partie qui a été signée avec la Mauritanie ? Très certainement. Est-ce qu'il y a une partie qui oblige seulement le Sénégal ? Très certainement également. Et donc, c'est sur ces deux leviers que le Sénégal peut jouer à travers sa nouvelle diplomatie et, ce qui est certain, c'est que les Sénégalais, l'opinion publique sénégalaise en général, accordent une grande importance à l'exploitation du gaz et du pétrole, que ce soit par le Sénégal lui-même et avec ses voisins.
Mais, pour l'instant, la compagnie pétrolière British Petroleum n'a pas l'air très favorable à une renégociation de ce contrat. Quelles sont les chances de réussite du nouveau gouvernement sénégalais ?
Oui, cette entreprise-là, cette grande compagnie pétrolière, a certainement des raisons pour ne pas renégocier le contrat. Mais si un État dit cela, c'est qu'il a également des raisons pour le faire et ce n'est pas une première dans l'histoire du monde. Beaucoup d'États, je pense notamment à des pays en Amérique latine, ont renégocié des contrats avec de grandes entreprises et on a su trouver un équilibre. D'autres ont été un peu plus loin, en allant jusqu'à nationaliser carrément la production ou l'exploitation de certaines ressources. Donc tout ça, ce sont des possibilités qui ont eu lieu. Mais ce qui est certain, c'est que le Sénégal, en tant qu’État souverain, est lié effectivement par des contrats qu'il a signés. Mais il a également, comme tout État, la possibilité de revoir ces accords en coopération avec les autres signataires et il y aura plusieurs leviers sur lesquels le président du Sénégal pourra jouer.
À l'investiture du président Diomaye Faye, il y avait des représentants de plusieurs régimes putschistes d'Afrique de l'Ouest. Et sur le réseau X, le numéro un burkinabé, le capitaine Traoré, s'est dit prêt à œuvrer avec le Sénégal à la rénovation de la coopération sous-régionale. Est-ce que le nouveau président sénégalais pourrait convaincre les trois pays de l'Alliance des États du Sahel [AES] à ne pas rompre définitivement avec la Cédéao ?
Je pense qu’à l'heure actuelle où on parle, s'il y a quelqu'un qui peut essayer de jouer l'intermédiaire ou essayer de rapprocher nos frères du Burkina, du Mali et du Niger, c'est bien le président Diomaye Faye, parce qu’avec les autres puissances que sont la Côte d'Ivoire et le Nigeria, il semble que les discussions, que les postures soient très extrêmes, soient difficiles. Donc le Sénégal, avec l'alternance politique, a cette chance de pouvoir jouer un rôle là-dessus. D'autant plus qu'il y a des sujets sur lesquels, quand même, ce président est en accord avec ces juntes au pouvoir. Je pense notamment à la question du franc CFA, sur laquelle les positions sont très claires et, à mon avis, cette question peut être un levier justement pour faire retourner les pays qui avaient officiellement quitté la Cédéao, ces trois pays donc de l’AES. Je pense que le Sénégal a un rôle à jouer là-dessus.
Donc on peut s'attendre à une rencontre, peut-être, entre le président Diomaye Faye et certains de ses voisins sahéliens ?
Je pense que ce n'est pas à exclure, même si ce sont des régimes que les autres considèrent comme des régimes non-démocratiques. Je pense que, vu la posture et la dynamique engagée par le président Diomaye Faye sur les questions internationales, il n'est pas à exclure que le président Diomaye Faye se rende au Burkina ou au Mali, ou inversement, et que des discussions soient engagées. Je pense que c'est quelque chose qui est, à mon avis, fort probable.
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Tue, 30 Apr 2024 - 941 - Pour l’ambassadeur de RDC à Paris, «en demandant des sanctions contre le Rwanda, la France prendrait date dans l’histoire»
À l’agenda de la visite officielle du président congolais Félix Tshisekedi en France, ces 29 et 30 avril, il y a deux points essentiels : la fin de la guerre à l’Est et le développement économique. Sur le premier point, l’ambassadeur de la République démocratique du Congo (RDC) à Paris, Emile Ngoy Kasongo, ne cache pas, au micro de RFI, qu’il espère que le président français demandera des sanctions contre le Rwanda. Sur le second point, le diplomate congolais attend beaucoup du forum économique franco-congolais organisé ce 30 avril à Bercy, à Paris, avec le patronat français (Medef).
RFI : Qu’est-ce que vous attendez de cette visite officielle du chef de l’État congolais à Paris ?
Émile Ngoy Kasongo : D’abord une relance à la fois de la coopération et également des questions des diplomaties majeures entre le gouvernement français et celui de la République démocratique du Congo dans un contexte marqué, comme vous le savez, par la situation difficile, la situation de guerre, d’instabilité, d’insécurité, à l’est de la RDC.
Il y a un an, on se souvient, le président Macron, c’était à Kinshasa, a eu des mots assez durs contre votre pays. « Depuis 1994, a-t-il dit,vous n’avez pas été capable de restaurer la souveraineté de votre pays, ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative, c'est une réalité et il ne faut pas chercher de coupables à l'extérieur…»
Oui, et ses propos avaient fâché l'opinion congolaise. Mais il faut dire qu'il faut savoir passer l'éponge dans la mesure où il y a eu immédiatement une réaction aussi musclée de notre président, Son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi qui avait répondu, et nous pensons que c’est tout ça aussi qui fait une belle histoire, une belle histoire qu’il y a entre la France et la RDC.
En effet, Félix Tshisekedi avait répondu lors de cette visite du président français à Kinshasa : « Regardez nous autrement, en nous respectant et pas toujours avec un regard paternaliste et pas toujours avec l'idée de savoir ce qu'il faut pour nous »…
Oui, bien sûr. La RDC revendique sa maturité dans tous les domaines : politique, diplomatique et sa prise en charge existentielle.
Alors tout ça, c'était au sujet évidemment de la situation militaire dans l'est de votre pays. Qu'est-ce que vous reprochez aujourd'hui aux pays occidentaux, et notamment à la France ?
Le silence coupable de la communauté internationale, parce que la cause majeure, ce n'est pas une guerre des religions et une guerre d'idéologies, une guerre de valeurs, mais c'est une guerre de pillage des ressources naturelles.
Alors vous parlez de pillage et il y a quelques jours, vous avez mis en demeure la société Apple parce que vous l'accusez d'utiliser des minerais provenant des mines congolaises exploitées illégalement par le Rwanda…
Oui, c’est ce que nous appelons les minerais de sang. Des minerais de sang, des minerais de la fraude. Et pour ça, je pense que nous avons ici aussi en ligne de mire également l'accord que vous connaissez, le protocole d'accord d'entente entre l'Union européenne et le Rwanda et pour lequel nous réclamons jusqu'aujourd'hui qu'il puisse y avoir traçabilité et transparence. Une chaîne de valeur ne doit pas partir du milieu, elle doit partir dès l'origine, c’est-à-dire dès la production. On ne peut pas démarrer une chaîne de valeur essentiellement au point d'approvisionnement, mais il faut qu'on regarde aussi le point de la production.
La société Apple répond qu'à sa connaissance, il n'y a pas de minerais exploités illégalement. Elle se réfère à la certification iTSCi selon laquelle il n'y aurait pas de contrebande au bénéfice du Rwanda…
Reste à vérifier tout cela. Mais pour notre part, nous considérons que le Rwanda, jusqu'à preuve du contraire, ne dispose pas d'une cartographie minière prouvant réellement que ces minerais ont été exploités au Rwanda.
Cette mise en demeure devant la justice française, quelques jours avant l'arrivée du président Tshisekedi en France, ce n'est pas une coïncidence ?
Bien entendu, puisque déjà vous vous souviendrez, il y a eu des milliers de jeunes Congolais ici en France, en Belgique, à Londres et même aux États-Unis qui sont allés faire les sittings devant les enseignes de cette multinationale pour dénoncer justement la pratique en la matière qui favorise justement l'exploitation illégale de ce type de minerais stratégiques.
Qu'est-ce que le président Tshisekedi attend du président Macron ? Est-ce que vous demandez des sanctions internationales contre le Rwanda ?
Il est évident que la Société des Nations aujourd'hui est organisée sur base du droit international. Lorsque le droit international est violé, qu'est-ce qu'on fait ? Avec la Russie, comparaison n'est pas raison, mais on regarde parfois entre intellectuels. J'étais à la Sorbonne dans une conférence, les étudiants en relations internationales ont constaté que la situation de la RDC était pratiquement parallèle à la situation entre la Russie et l'Ukraine. C'est une violation, une agression…
Et vous venez d'ailleurs d'autoriser l'Ukraine à installer une ambassade à Kinshasa…
Nous sommes un pays indépendant, démocratique et souverain. Nous avons des relations diversifiées dans le monde et c'est le propre de tous les pays. Et donc, nous sommes en droit de demander des sanctions, parce que lorsqu’il y a eu violation du droit international, il n'y a pas autre chose. Lorsque la Russie est entrée en Ukraine, on a entendu par ci par là d'abord la condamnation, la demande de retrait, on ne s’est pas arrêté là, et on a exigé au terme des sanctions. Des sanctions, pourquoi ? Parce que l'intégrité territoriale, la souveraineté, l'indépendance de chaque État dans le monde est régie par des règles de droit international.
Donc vous voudriez que le président français prononce le mot sanctions contre le Rwanda ?
Je pense que ce serait faire justice, ce serait aussi prendre date dans l'histoire.
La semaine dernière, les présidents français Emmanuel Macron et rwandais Paul Kagame se sont parlé au téléphone et selon l'Élysée, Emmanuel Macron en a profité pour insister sur la nécessité de respecter l'intégrité territoriale de votre pays. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Nous pensons qu'il faut... On est des humains, on est des hommes, et il y a aujourd'hui la France qui se parlent avec l'Allemagne : tout est oublié parce qu'ils ont su se parler, ils sont arrivés à se parler, mais pour se parler, il faut le faire dans les règles du droit, de la justice. Il faut que finalement, en fin de compte, qu'on ait des réparations également.
Emmanuel Macron a également parlé récemment avec le président angolais Joao Lourenço, est-ce qu'on peut imaginer que le président français fasse médiation entre vos deux pays, le Congo et le Rwanda ?
La France a les atouts et la France devrait utiliser ces atouts-là.
La grosse journée, ce sera avec le déjeuner de travail entre Messieurs Macron et Tshisekedi et ensuite le forum économique à Bercy. Ce forum avec notamment le patronat français avec le Medef, qu'est-ce que vous en attendez ?
Nous attendons beaucoup. Nous pensons que la RDC aujourd'hui, avec son potentiel, est en phase de diversification de son économie. Je prends seulement le secteur agroalimentaire où la France est super champion du monde.
Pourquoi l’agroalimentaire ? Parce que vous êtes très loin de l'autosuffisance alimentaire ?
Très loin de l'autosuffisance alimentaire. Notre autosuffisance alimentaire aujourd'hui est couverte par 60 % en importations. Alors, comme vous l'avez dit, nous avons des terres arables, plus de quatre 4 millions d'hectares de terres arables.
Donc, vous avez un potentiel…
Nous avons un potentiel majeur, mais il faut maintenant le mettre en jachère, et pour cela, nous avons besoin aussi de l'expérience de ceux qui ont maîtrisé ces secteurs. Vous savez, pour le chef de l'État aujourd'hui, la RDC a fonctionné très longtemps en comptant sur les minerais et il faut maintenant que les sols prennent la revanche sur les sous-sols. Ça, c'est le leitmotiv du président de la République Félix Antoine Tshisekedi.
Mon, 29 Apr 2024 - 940 - Affaire Pascaline Bongo: «On espère un procès fin 2025, début 2026, mais rien en vue à court terme»
Pascaline Bongo a-t-elle monnayé ses pouvoirs quand son frère, Ali Bongo, était président du Gabon ? Lundi 22 avril, le tribunal correctionnel de Paris a jugé que non et l'a relaxée. Mais jeudi, le parquet national financier (PNF) a fait appel de cette décision. Il y aura donc un second procès. Surtout, la famille Bongo est visée par la justice française dans une autre procédure, celle des biens mal acquis (BMA). Et cette fois, Ali Bongo lui-même pourrait être poursuivi. Sara Brimbeuf est responsable du plaidoyer sur les flux financiers illicites à l'ONG Transparency International.
Sat, 27 Apr 2024 - 939 - Au Niger, «les États-Unis préservent mieux l'avenir que d'autres partenaires»
Au Niger, cela fait neuf mois, ce vendredi 26 avril, que le putsch a eu lieu et que le président Mohamed Bazoum est séquestré, avec son épouse, par les militaires qui l'ont renversé. Le fait marquant de ces dernières semaines, c'est le tournant anti-américain et pro-russe qu'ont pris les militaires du CNSP à Niamey. Est-ce à dire que les Américains ont perdu la partie au Niger ? « Ce n'est pas si simple», répond Jean-Hervé Jézéquel, qui est directeur du projet Sahel à l'International Crisis Group.
RFI : Neuf mois après, est-ce qu’on y voit plus clair ? Est-ce que l’ancien président Mahamadou Issoufou a joué un rôle dans ce putsch ?
Jean-Hervé Jézéquel : Alors, il y a eu beaucoup de rumeurs sur le rôle de l’ancien président Issoufou, du fait de sa proximité notamment avec le général Tiani qui était le chef de sa garde. Je n’ai vu aucun élément probant sur son implication… Et pour tout dire, je trouvais curieux qu’un président, qui s’est si longtemps méfié de ses propres forces de sécurité, leur confie aujourd’hui son avenir, au risque de ruiner un petit peu son héritage et notamment le parti politique qu’il a construit sur plus de quatre décennies et qui aujourd’hui est complètement déchiré. Par contre, ce qui est troublant, c’est la proximité qu’il affiche aujourd’hui avec une partie du CNSP [la junte au pouvoir au Niger]. Alors le président Issoufou a voulu jouer les médiateurs dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat, il semble aujourd’hui se ranger à la raison du plus fort, et cela n’aide peut-être pas à construire une transition qui assurerait un meilleur équilibre entre civils et militaires. Aujourd’hui, l’essentiel du pouvoir d’Etat est aux mains des hommes en uniforme et, dans un tel système, un démocrate n’a pas beaucoup d’avenir.
Pourquoi les pays de la sous-région de la Cédéao, ont renoncé à leur plan militaire contre la junte ?
Bon, la Cédéao n’en avait pas les moyens militaires d’une part, et puis, d’autre part, les opinions ouest-africaines n’y étaient pas favorables. Mais je crois que les pays de la Cédéao ont très vite compris qu’une telle intervention était non seulement hasardeuse, mais aurait pu aussi se retourner contre ses initiateurs. Au fond, je pense que la Cédéao a haussé le ton trop brutalement, trop vite, a un peu confondue vitesse et précipitation. Une fois le coup consommé, il n’y avait plus retour en arrière possible. Ce sur quoi il aurait fallu se concentrer à ce moment-là, mais c’est sûr que c’est facile de le dire aujourd’hui, c’est plutôt sur la forme de la transition. Négocier peut-être un meilleur équilibre entre civils et militaires, assurer une meilleure participation des forces politiques et de la société civile. Au Mali, lors de la première transition, en août-septembre 2020, la Cédéao avait plutôt su bien négocier… Là, en 2023, elle s’est avérée beaucoup moins efficace.
Est-ce que les Américains ont joué un rôle dans la décision des pays de la Cédéao de renoncer à toute intervention militaire ?
Les Etats-Unis n’ont soutenu au fond que du bout des lèvres l’action de la Cédéao, il était clair qu’ils ne croyaient pas non plus à la possibilité d’une intervention, passés les premiers jours, en tout cas pas d’une intervention réussie, et donc ils se sont engagés dans une approche accommodante à l’égard du CNSP, des nouvelles autorités, essayant, au fond, de préserver des relations, et puis de préserver aussi leurs bases. Au départ, ce n’était pas nécessairement un pari idiot, mais il est évident qu’il n’a pas fonctionné. Donc les Etats-Unis sont quand même rentrés en tension avec le CNSP, d’abord autour de son rapprochement avec des acteurs comme l’Iran et la Russie, et puis aussi du fait du refus du CNSP de fixer un calendrier de sortie de transition sous pression. Et donc cela a fini à conduire à l’impasse actuelle… Aussi, je pense qu’il semblerait que le CNSP est resté très méfiant à l’encontre de certains de ses voisins de la sous-région, et aussi de la France. Il soupçonne ces acteurs de vouloir soutenir des actions de déstabilisation, et donc, face à cette menace réelle ou pas, le CNSP a plus confiance dans l’allié russe que dans l’allié américain. Pour autant, on ne peut pas dire que les Etats-Unis ont été chassés du pays, ils maintiennent une présence, non-militaire. Ils maintiennent une présence à travers des programmes de développement et d’aide humanitaire, ils ont toujours un ambassadeur, présent à Niamey, ils réussissent à éviter une sorte de politique des blocs qui voudrait qu’on retourne à une forme de politique de la guerre froide où un pays est soit votre allié, soit votre adversaire. Et je trouve qu’en faisant cela, même si, à court terme, les Etats-Unis n’ont pas réussi dans la stratégie d’accommodement, ils préservent mieux l’avenir que d’autres partenaires.
Voilà neuf mois que le président Mohamed Bazoum refuse de signer sa destitution et paye ce courage de la prison dans laquelle il est enfermé avec son épouse… Est-ce qu’il n’y a plus aujourd’hui aucun espoir de libération pour lui ?
On espère que si. Son bilan était de loin le plus intéressant dans la région sur les quinze dernières années. Il refuse de démissionner sans doute parce que c’est un reflet de son parcours de démocrate, de démocrate convaincu, mais c’est aussi cela qui le maintien en détention jusqu’à aujourd’hui.
Et quel intérêt pour les militaires de vouloir le juger comme ils en montrent l’intention ?
Peut-être aussi, il s’agit de trouver un nouveau bouc émissaire. Ce qu’on peut surtout noter, c’est que pour l’instant le CNSP n’a pas véritablement mis en place un programme de transition, et qu’en dehors des choix dans le domaine sécuritaire, il n’a pas véritablement mis en place des signes de rupture positive pour le pays.
Est-ce qu’une solution négociée est encore possible pour la libération de président Bazoum, peut-être avec une médiation internationale ?
Oui peut-être. Beaucoup l’ont tenté ces derniers mois, on a vu plusieurs puissances, plusieurs pays de la sous-région essayer de jouer les médiateurs, jusque-là sans succès. Voilà, on espère qu’ils vont continuer, et qu’ils obtiendront une libération du président Bazoum, qui ne mérite pas à l’évidence le sort qui est le sien aujourd’hui.
Fri, 26 Apr 2024 - 938 - Pedro Pires: la lutte armée en Guinée fut «un des facteurs de changement du régime au Portugal»
C’était il y a 50 ans, jour pour jour. Le 25 avril 1974, de jeunes capitaines se sont soulevés au Portugal, ont fait tomber la dictature et ont ouvert la voie à l’indépendance des dernières colonies africaines. Du coup, aujourd’hui, plusieurs chefs d’État africains sont à Lisbonne pour célébrer cet anniversaire avec les Portugais. Leur présence est d’autant plus justifiée que ce sont les indépendantistes africains de l’époque qui ont fait chuter le régime dictatorial et colonialiste de Lisbonne. Pedro Pires a été successivement un commandant militaire du PAIGC d’Amilcar Cabral, puis le président du Cap-Vert.
RFI : Est-ce que la chute de la dictature portugaise aurait eu lieu sans le combat du PAIGC pour l’indépendance du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ?
Pedro Pires : Je crois que ce combat et la lutte dirigée par le PAIGC ont eu un rôle très important dans la création des conditions de la chute du régime installé au Portugal. Tenant compte qu’en 1973, nous avons eu des victoires militaires très importantes et, en même temps, nous avons eu des victoires politiques, diplomatiques très importantes. Le régime colonial au Portugal était dépassé, isolé. Le pays était en crise politique et militaire, les guerres coloniales ont eu un effet très pervers dans l’économie et, de mon point de vue, le pays n’était pas dans des conditions pour continuer la guerre. Il y avait des risques d’effondrement de l’armée coloniale. Mais on ne peut pas dire que les mouvements de libération étaient les seuls responsables de la chute du régime, car, en même temps, au Portugal, il y a eu des résistances contre la guerre coloniale, contre le régime. Mais, en effet, les luttes armées de libération nationale ont été le facteur le plus important pour la chute et le changement de régime au Portugal.
C’est-à-dire que les jeunes Portugais ne voulaient plus faire un service militaire de quatre ans, au risque de mourir en Guinée-Bissau ?
Pas seulement en Guinée-Bissau ! Ce qui s’est passé, c’est que la jeunesse portugaise n’était pas tellement engagée dans cette guerre. Il y avait des fuites des jeunes vers les autres pays d’Europe, il y avait des désertions importantes… Mais le facteur le plus important dans la chute du régime, c’était, en effet, la résistance et les combats des mouvements de libération et, particulièrement, du PAIGC. C’est vrai que, en Guinée, c’est là où le mouvement de libération dirigé par Amilcar Cabral a eu les plus grands succès qui ont provoqué les plus grandes déroutes pour l’armée portugaise. Donc, le PAIGC a eu un rôle très important pour le changement de régime au Portugal.
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Ce combat pour l’indépendance, monsieur le président, il débute dès les années 1960. L’armée portugaise s’accroche au terrain et lance même un raid sur Conakry, la base arrière du PAIGC en novembre 1970. Cette opération Mar Verde, est-ce qu’elle a servi la cause du Portugal ou, au contraire, celle du Guinéen Sekou Touré et du Bissau-Guinéen Amilcar Cabral ?
De mon point de vue, cette opération a démontré que le régime voulait trouver la solution à l’extérieur, avec cette invasion à Conakry, pour gagner la guerre qu’il avait déjà perdue à l’intérieur du pays. Ils voulaient essayer de trouver une victoire à l’extérieur quand la victoire à l’intérieur était impossible. C’est le signe du désespoir de l’armée portugaise, de la direction militaire et politique du Portugal. À la fin, le régime portugais était le perdant parce qu’il était plus isolé que jamais. Il y a eu une mobilisation internationale d’appuis, surtout africains, à la République de Guinée et au PAIGC.
Le chef des opérations militaires du Portugal en Guinée-Bissau, c’était le général Spinola. C’était un homme intraitable sur le terrain, mais c’était en même temps un homme politique intelligent qui a publié, deux mois avant la Révolution portugaise, un livre prémonitoire sur la nécessité d’ouvrir un dialogue politique avec vous, les maquisards indépendantistes. Est-ce qu’à l’époque, vous l’aviez rencontré secrètement ?
Non, le général Spinola, c’était un officier vedette qui se présentait comme victorieux, comme capable de vaincre le PAIGC, qui vendait son image politique, son image militaire… Qui, en effet, a changé la stratégie militaire en Guinée, qui a modernisé l’armée coloniale, c’est vrai, qui a fait une politique pour les populations, pour acheter les consciences des populations. Et qui avait essayé d’imiter ce que faisait le PAIGC. Donc, de mon point de vue, ce n’était pas un grand chef de guerre, mais il faisait sa promotion à l’intérieur du pays et à l’extérieur du pays. Et, en même temps, il a perdu la guerre en Guinée. Parce que nous, l’armée du PAIGC, nous avons eu des victoires très importantes sur l’armée portugaise à plusieurs reprises. Et il a lui-même reconnu dans une publication du 15 mai 1973 que l’armée portugaise n’était pas dans la condition d’affronter le PAIGC et que le PAIGC avait acquis des armes très puissantes, qui pouvaient mettre en cause la continuation de la guerre coloniale. En ce qui concerne l’aspect politique, la solution Spinola, c’était une espèce de fédération – ou quelque chose de pareil – mais qui ne prenait pas en compte ce que nous avions déjà fait. Parce que, nous-mêmes, nous avions déjà proclamé la République de Guinée-Bissau le 4 septembre 1973 ! Il a essayé de trouver une solution politique pour un cas perdu en présentant une solution néocoloniale. C’était peut-être très important pour la société portugaise, mais pour nous, cela n’avait aucune importance.
50 ans après les indépendances, le Cap-Vert est une vraie démocratie qui a connu plusieurs alternances, alors que la Guinée-Bissau est un pays très instable, qui a déjà connu quatre coups d’État meurtriers et 17 tentatives de putschs. Comment expliquez-vous que ces deux pays, qui étaient liés de façon aussi forte par le PAIGC d’Amilcar Cabral, connaissent aujourd’hui deux destins aussi différents ?
Nous, au Cap-Vert, on a essayé de mettre sur pied les vraies institutions crédibles, solides d’un État de droit, c’est le point de départ, avec la participation des citoyens. La différence, peut-être, c’est celle-ci. On a essayé et on a mis sur pied un État de droit où les gens, chacun a la parole.
Mais un mot, tout de même, sur la Guinée-Bissau : c’est le seul pays d’Afrique de l’Ouest qui a conquis son indépendance par la lutte armée. Est-ce que ce n’est pas la raison, au fond, pour laquelle les militaires, à commencer par le général Ansoumane Mané, il y a 25 ans, ont occupé et occupent toujours une telle place dans la politique de ce pays ?
La lutte armée en Guinée, il faut le reconnaître, vous-même, vous avez dit que c’était un facteur du changement de régime au Portugal. C’est vrai. La lutte armée en Guinée était victorieuse et héroïque. La question qui se pose, c’est la gestion après tout cela. Les changements qu’il fallait faire… Peut-être, je dis bien « peut-être », les dirigeants n’étaient pas tellement préparés pour voir quel serait le chemin à suivre, quelles seraient les réformes politiques et sociales à faire. Mais, vraiment, du point de vue des pays où les indépendances ont été acquises par la lutte armée, les armées ont eu un rôle très important. Et le problème, je crois que cela se maintient, c’est le danger de la nature du régime. C’est-à-dire, passer d’un régime avec certaines caractéristiques militaires où les armées jouent un rôle ou pas, en ce qu’elles sont les gardiens de l’indépendance du pays. Mais changer cela de telle nature que, au lieu de l’armée qui commande, c’est le peuple qui commande, c’est très difficile. Regardez un peu partout !
Thu, 25 Apr 2024 - 937 - Charles Michel (UE): «Les investisseurs et les businessmen espèrent de la stabilité en tous points»
Le président du Conseil européen, Charles Michel, est en tournée en Afrique de l’Ouest. Après le Sénégal où il a rencontré le nouveau président élu, Bassirou Diomaye Faye lundi soir, Charles Michel est ce mercredi en Côté d’Ivoire avant de se rendre demain au Bénin. Une tournée placée sous le signe de la relance de la coopération économique mais aussi sécuritaire.
Wed, 24 Apr 2024 - 936 - Biennale: Romuald Hazoumé place le féminisme béninois au cœur de Venise
Pour sa première participation à la Biennale de Venise, le Bénin a choisi le célèbre plasticien Romuald Hazoumé. À la 60ème édition de l’évènement sur l’art contemporain, l’artiste descendant de la royauté yoruba y présente une installation monumentale composée de plus de 500 de ses fameux masques-bidons, appelée « Ashé » qui signifie le pouvoir.
RFI: Le Bénin, hisse pour la première fois son drapeau à la Biennale de Venise. Le jour de gloire est arrivé ?
Romuald Hazoumé : Je ne crois pas, parce que si on dit que le jour de gloire est arrivé, ça veut dire qu'on est arrivé. Mais personne n'est arrivé, parce que nous, les artistes, on cherche à faire mieux chaque fois. Parce que là, après Venise, beaucoup de gens vont nous attendre, encore, ils nous connaissent déjà, mais la peur, c'est d'arriver à faire mieux ou, au moins, d'arriver au niveau où on est là, maintenant.
Que ressentez-vous, quand même ?
Une satisfaction d'être là, mais en même temps, j'ai beaucoup d’appréhension par rapport au monde qu'il y a. Il y a une grande sollicitation, donc ça me gêne un peu.
Fier, non ?
Oui, parce que c'est le côté qui manquait à ma biographie. C’est-à-dire que, le fait d'être à la Biennale de Venise, tout le monde sait que c'est une décision politique : c'est un pays qui prend un pavillon et qui décide qui y va. Et là, ça s’est fait.
Le pavillon béninois défend « Tout ce qui est fragile et précieux ». Éclairez-nous ?
Oui, tout ce qui est fragile et précieux, c'est-à-dire que nous avons oublié d'où nous venons. Nous avons oublié notre culture, qui est une culture bien ancrée, bien pure, bien forte, mais qui reste fragile, parce qu'elle va totalement disparaître – ça veut dire que nous allons disparaître aussi. Et cette culture-là est gérée par la femme, parce que quand on va en profondeur dans le thème, la spiritualité est protégée par les femmes. Ce sont les femmes qui sont les gardiennes du vaudou. C'est pour ça que le culte Guélédé est géré en l'occurrence par ces ashés, des femmes qui ont le pouvoir. Donc ma pièce s'appelle « Ashé » pour cette raison-là.
Ensuite, quand on prend les Amazones, ce sont des femmes, et la première qui a créé le corps des Amazones, c'est la Tassi Hangbé, qui a été l'une des reines du royaume du Dahomey. Donc c'est pour cette raison-là que, dans la pièce, je fais diffuser des panégyriques de la Tassi Hangbé, de quelques femmes célèbres, comme la Gnon Kogui du royaume de Nikki.
De l'autre côté, il y a 520 visages de personnalités béninoises. Chaque individu qui est dans cette installation devient une personnalité, parce que chacun porte ou une couleur ou un signe ostentatoire qui donne son appartenance à une culture donnée, à cette culture que nous tous fuyons, mais qu'on ne fuit pas : on reste hypocrites dessus, parce qu'on est des catholiques tropicaux, on est des musulmans tropicaux. Mais le soir, on sait où on se retrouve tous. Donc, en rentrant dans cette pièce, on salue déjà nos morts sur lesquels on passe, parce qu’ils sont enterrés là. Et, en relevant la tête, il y a plein d'étoiles dans le ciel qu'on regarde, ce sont aussi nos saints qui sont là-haut et qui veillent sur nous. Mais, quand on arrive juste au centre de la pièce, tous les masques nous regardent, c'est-à-dire que l'individu devient le centre du monde, c'est-à-dire qu'on ne pense pas à l'IA, on ne pense pas à sa voiture, on ne pense pas aux vêtements qu'on porte, on ne pense à rien du tout. Tout le monde te regarde : c'est toi, l'humain, qui est important. Et cet humain-là, c'est la femme.
Des thèmes que vous défendez depuis plus de 20 ans déjà, alors que personne ne croyait à l'existence même d’un art contemporain venant du Bénin ?
Oui, le Bénin a une particularité : quand on voit les gouvernements successifs qui l’ont dirigé, il y a eu le gouvernement de Mathieu Kérékou, où c'étaient plutôt des cathos, cathos, cathos... Des cathos tropicaux surtout, et qui ont complètement perdu le Nord. C'est-à-dire qu’on pense à notre culture, mais il faut l'effacer. Il faut aller prier dans l'Église parce qu'on s'appelle Mathieu ou Pierre… Et quand on revoit l'autre gouvernement qui a suivi, ce sont des évangélistes tropicaux aussi. Et quand on voit le gouvernement [du président Patrice] Talon aujourd'hui, qui redonne de la valeur à notre culture, parce que c'est la seule chose que nous ayons à partager – parce qu'on n'a pas de pétrole, on n'a pas d'or –, ça nous remet les pieds sur terre, ça nous remontre qui nous sommes.
Et je peux vous assurer que les pièces qui ont été rendues par la France, c'est vraiment une revalorisation de notre culture. Nous regardons moins l'Occident et ça nous apporte énormément, comme, depuis 20 ans, ça m'apporte beaucoup.
Romuald Hazoumé, justement, créer pour recréer un monde auquel on a volé ses racines ?
Non, la finalité n'est pas de revendiquer vraiment quelque chose ou de dénoncer quelque chose. La finalité, c'est que je me sente bien avec ce que moi, je fais. Voilà.
Quelle est la seule vérité qui compte à vos yeux d'artiste et d'homme libre ?
C'est de ne pas se mentir à soi-même !
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Tue, 23 Apr 2024 - 935 - En Libye: «Sans pression extérieure, il n’y aura pas de solution politique à moyen terme»
La démission, mardi 16 avril, d'Abdoulaye Bathily, qui était à la tête de la Mission des Nations unies en Libye (Manul) remet en lumière un conflit qui dure depuis 2011, mais qui est presque tombé dans l'oubli. Avec la dégradation de la situation internationale et la multiplication des conflits, la Libye n'est plus la principale préoccupation de la communauté internationale. Cette démission - qui n'est pas la première à ce poste - révèle l'aspect quasiment inextricable de cette mission de l'ONU, confrontée aux divisions internationales et internes qui prédominent en Libye, comme l'affirme Kader Abderrahim, chercheur et auteur du recueil Géopolitique de la Libye, édité en mars chez Bibliomonde. Il répond aux questions d'Houda Ibrahim.
RFI : Peut-on considérer aujourd'hui, après la démission d’Abdoulaye Bathily, que la situation est totalement bloquée ?
Kader Abderrahim :Elle l'était avant la nomination d’Abdoulaye Bathily, puisque après la démission de son prédécesseur, Jan Kubis, il a fallu plusieurs mois afin que l'ONU et les pays rivaux se mettent d'accord sur un nouvel émissaire. Donc la situation de blocage préexistait. Et, aujourd'hui, je dirais qu’elle n’est pas pire, ni meilleure, d'ailleurs. C'est cela qui est inquiétant, parce que je crois qu'il faudra encore plusieurs mois pour nommer un successeur à Abdoulaye Bathily, compte tenu des intérêts contradictoires : d'abord des Libyens, mais également des pays qui s'ingèrent dans cette situation et dans ce chaos libyen.
On remarque que le seul envoyé spécial africain (sur neuf), Abdoulaye Bathily, n'a pas été aidé par les démocraties occidentales. Pourquoi, à votre avis ?
Encore une fois, c'est parce que je crois qu'il y a des intérêts contradictoires et que, dans le fond, notamment pour les pays qui ont participé à la guerre en 2011. Pour la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, via l'Otan - ce qui était une manière de contourner aussi le Conseil de sécurité, mais surtout l'Union africaine -, leurs intérêts sont contradictoires. Mais, également, ils considèrent que le statu quo, dans la mesure où le conflit ne déborde pas des frontières libyennes, leur convient parfaitement. Alors c'est à géométrie variable, parce que parfois le conflit déborde, et notamment sur la question migratoire qui est un enjeu extrêmement important pour la politique intérieure des États européens. Rien n'a été fait effectivement pour soutenir la démarche d'Abdoulaye Bathily, qui a eu beaucoup de mal et qui, dans la conférence de presse qu'il a faite pour annoncer sa démission, a aussi exprimé sa grande déception à l'égard du multilatéralisme.
Que signifie alors ce nouvel échec pour l'ONU en Libye ?
C'est la preuve que, dans le fond, lorsque les grandes puissances ne trouvent pas de terrain de convergence, de compromis, les conflits s'enlisent. Et on préfère un conflit gelé - c'est le cas en Libye -, à un conflit ouvert, qui nécessiterait évidemment des mesures plus énergiques : on l'a vu récemment entre l’Israël et l'Iran, on le voit à propos de l'Ukraine. Il semblerait que le conflit en Libye, qui n’est aujourd’hui pas seulement politique, mais qui est aussi un sujet de défense et de sécurité, puisse être contenu dans les frontières libyennes. Et tant qu'il ne déborde pas, finalement, les Européens et les Américains considèrent que leurs intérêts sont épargnés et que, dans le fond, ils peuvent se satisfaire d'une situation qu'ils ont eux-mêmes créée avec la guerre en Libye en 2011.
Quels sont les scénarios à venir pour ce pays ? Les États-Unis, via la numéro deux de la Manul, vont-ils prendre les manettes de ce dossier ? Et quelles implications cela suppose ?
D'abord, ça permet aux États-Unis de garder la main sur le dossier. Et, deuxièmement, encore une fois, cela permettra aux Américains de dicter ou d’orienter globalement les propositions que pourrait faire la successeure. Ceci étant, il y a aussi d'autres enjeux puisque, à travers les États-Unis, ceux qui agissent en seconde main, ce sont notamment les pays du Golfe, avec les Émirats arabes unis, avec l'Égypte, qui ont des intérêts stratégiques importants. C'est un pays frontalier de la Libye et que les alliés des Américains seront sans doute confortés par cette nomination à venir. Évidemment, il faut qu'elle soit confirmée.
Mon, 22 Apr 2024 - 934 - Présidentielle au Tchad: «Si je suis élu, je n’exercerai qu’un seul mandat», affirme l’opposant Pahimi Padacké
Le 6 mai prochain, les Tchadiens vont élire leur président pour cinq ans. Après les interviews sur RFI et France 24 du président-candidat Mahamat Idriss Déby et du Premier ministre-candidat Succès Masra, voici celle de l’opposant Albert Pahimi Padacké, qui est arrivé officiellement deuxième à la présidentielle d’avril 2021 et qui dirige le parti RNDT Le Réveil. Sa stratégie ? Essayer de se distinguer du président et du Premier ministre, qui, à ses yeux, ont conclu « un arrangement » et ne se livrent qu’un « match amical ». Il a accordé cette interview à Ndjamena à nos envoyés spéciaux Christophe Boisbouvier, de RFI, et Marc Perelman, de France 24.
RFI/France24 : C'est donc votre quatrième candidature. Les fois précédentes, vous avez crié à la fraude. Cette élection est organisée par le régime du nouveau président de Transition. Pensez-vous que, cette fois, le scrutin sera bel et bien transparent ?
Albert Pahimi Padacké : Il serait trop tôt de dire que nous croyons à la transparence de cette élection. Malheureusement, nous avons eu le référendum [constitutionnel du 17 décembre 2023] qui a montré que nous ne sommes pas sur la voie de la transparence électorale, puisque le peuple a boycotté. Les résultats ont été en décalage avec les résultats des bureaux de vote. Là, nous allons à une présidentielle avec une nouvelle constitution, quelles que fussent les conditions de son adoption. Avec l'Ange – l'administration électorale mise en place par le pouvoir – nous constatons qu'il y a monopole d'un camp, d'un parti : celui du candidat-président de la Transition. Les autres partis, avec lesquels nous sommes aujourd'hui en compétition, sont exclus de toute l'administration électorale. Donc, nous ne pouvons pas gager sur la transparence de cette élection, dans laquelle nous sommes engagés. Et dans son organisation, nous en sommes exclus.
Pour cette élection du 6 mai, beaucoup annoncent un duel entre le président-candidat Mahamat Idriss Déby et le Premier ministre-candidat Succès Marsa, parce qu’ils disposent tous les deux des facilités et des réseaux qui sont liés à leurs fonctions. Alors, Albert Pahimi Padacké, ne craignez-vous pas de ne jouer qu'un rôle de figurant ?
Il y a deux choses. Ceux qui pensent que ce serait un duel, je leur dirais plutôt que c'est un match amical entre le président et son Premier ministre, parce qu'aucun Tchadien ne croit que le Premier ministre est véritablement candidat face au président. C'est inimaginable. Pourquoi ? Nous savons que ce système fait que, si vous exprimez une opinion contraire à ce que veut le pouvoir, vous êtes pourchassé, vos collaborateurs chassés de l'administration publique et c'est le cas du RNDT-Le Réveil. Lorsque nous avions décidé de boycotter un référendum mal organisé, nos camarades, nos militants ont été chassés de l'administration du territoire, même en pleine campagne. Personne ne peut croire qu'un Premier ministre soit candidat face au président en exercice et qu'il reste en poste, même dans les grandes démocraties, chez vous.
C'est dans le cadre de la cohabitation que Mitterrand et Chirac ont pu aller en compétition ensemble [en France, en 1988]. Mais sur ce cas de figure, c'est parce que le Premier ministre n'était pas le choix du président, il était imposé par l'Assemblée nationale. Ici, il ne peut pas y avoir un duel entre les deux. C'est un arrangement, un match amical. Et la deuxième chose, c’est que nous, nous ne jouons pas les figurants dans cette élection. Nous connaissons l'état d'esprit de notre peuple : la population tchadienne a besoin de changement. Elle vit aujourd'hui une vie de misère. Pour la première fois depuis des décennies, le Tchad ne produit que 30 mégawatts d'électricité et on vient de finir un ramadan sans électricité. Le peuple tchadien en a marre et donc nous sommes en harmonie avec les attentes de notre peuple.
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Vous venez d'évoquer, donc, ce qui semble être les contours d'un accord secret entre le président de Transition et son Premier ministre. En êtes-vous sûr et pensez-vous que cet accord signifie qu’une fois l'élection passée, cet attelage va rester en place ?
Je ne peux pas vous parler avec certitude. J'ai des appréhensions, les appréhensions qui sont celles du peuple tchadien. Appréhensions portant sur les dessous de l'accord de Kinshasa [accord signé le 31 octobre 2023 entre le gouvernement tchadien et le parti Les Transformateurs]. Nous savons très bien d'où les choses sont parties. Des jeunes ont été massacrés [le 20 octobre 2022] au nombre de 300, aux dires même du président des Transformateurs. Aujourd'hui, on revient, on ne parle plus de ces enfants tués. On est nommé Premier ministre et on est candidat – sans démissionner – et le président et le Premier ministre sont d'accord pour continuer. Les appréhensions sont sérieuses, les suspicions sont fortes. Il y a une entente entre le président et son Premier ministre. L'un est candidat, certainement pour garder son poste de président, l'autre est candidat pour garder son poste de Premier ministre. C'est un match amical.
Venons-en aux questions régionales. Le régime soudanais a accusé devant les Nations unies le Tchad d'avoir pris fait et cause pour le général Hemetti – chef des Forces de soutien rapide (FSR) – en les armant. Même si Ndjamena a nié, pensez-vous que c'est une erreur d’avoir choisi un des camps dans cette guerre civile qui dure depuis maintenant un an ?
Si le gouvernement tchadien a pris fait et cause pour un des belligérants au Soudan, je considère cela comme une erreur grave. Nous n'avons pas besoin de nous mêler de ce qui se passe au Soudan, sauf si nous avons la possibilité d'aider ces frères à se mettre ensemble et se réconcilier. Mais nous n'avons pas intérêt, en tant que peuple tchadien, de prendre parti dans un conflit interne au Soudan.
Le gouvernement a-t-il pris parti ?
Je n'ai pas la confirmation, je dis simplement que le Tchad n'a pas intérêt à prendre parti dans cette guerre.
En janvier dernier, le président Mahamat Idriss Déby est allé voir son homologue russe Vladimir Poutine à Moscou et a dit que le Tchad était un « pays frère » de la Russie. Le pensez-vous tenté par un changement d'alliance militaire au profit de la Russie ? Et si vous étiez élu, envisageriez-vous la même option ?
Si nous sommes élus, nous travaillerons avec nos partenaires traditionnels, sans renier la possibilité de nous ouvrir à d'autres partenaires, dans l'intérêt de notre peuple. Nous avons besoin de développer notre pays et, pour le développer, nous avons besoin des ressources extérieures. Dans ce cadre-là, je pense qu'il faut nouer des relations avec tous les pays. Mais ces relations doivent se développer dans l'intérêt de notre peuple. Et parmi les intérêts de notre peuple, il y a la démocratie. Nous avons besoin des pays qui vont nous aider, également, dans la construction démocratique de notre pays, pour éviter de retomber dans ce cycle infernal de guerre que nous avons connu.
De façon très concrète, il y a environ 1 000 soldats français et trois bases militaires françaises sur le sol tchadien. Est-ce que ça veut dire moins de soldats et moins de bases, si vous êtes élu ?
Cette question, telle que les politiques la posent, que ce soit en Afrique comme en France, je pense que c'est en décalage total avec la réalité. Pour nous, la question des rapports avec la France n'est pas une question de base militaire. Ce n'est pas le sujet. Le sujet est que, depuis 60 ans, les populations africaines sont en décalage d'intérêt avec leurs gouvernants, lesquels gouvernants sont vus par les populations comme étant soutenus par l'Élysée. Ce qu'il faut donc faire, c'est de ramener la coopération entre la France et l'Afrique dans l'intérêt des populations. Il faut que les politiques français cessent de miser sur des personnes, mais sur le peuple.
Albert Pahimi Padacké, vous avez bien connu Mahamat Idriss Déby à son arrivée au pouvoir il y a trois ans, puisque vous étiez son Premier ministre. À l'époque, il avait promis qu'il ne se présenterait pas et finalement, il a fait le contraire. Aujourd'hui, il promet la démocratie. Craignez-vous qu'il veuille mettre en place une nouvelle dynastie sur le continent ?
Je ne sais pas. D'abord, je ne suis pas de ceux qui pensent, honnêtement, que c'est parce qu'il serait le fils du Maréchal [Idriss Déby Itno], qu’il porte le patronyme Déby qu'il ne devrait pas être candidat. Je ne raisonne pas comme ça. Pour moi, il peut être candidat, pourvu que les conditions d'élections soient les conditions les plus transparentes, mettant à égalité tous les candidats. Dans ces conditions, je me sens capable de le battre. Est-ce qu'il amènera la démocratie ? Je suis candidat, justement, pour restaurer la démocratie dans mon pays, parce que je considère aujourd’hui que le président-candidat Mahamat Idriss Déby est une menace pour la démocratie, au vu de la qualité du référendum que nous avons connu, au vu de l'organisation de l'actuelle présidentielle.
C'est pour ça que j'annonce : un, dans mon programme, pour habituer le Tchad à la passation pacifique du pouvoir, je n'exercerai qu'un seul mandat pour organiser le retour au jeu démocratique réel. Deux, je remettrai en jeu la Constitution actuelle, qui est mal adoptée, et je soumettrai la question de la forme de l'État à un référendum, avec un projet sur la forme fédérale et un projet sur la forme unitaire, pour que le peuple puisse décider. Trois, je dissoudrai l'administration électorale actuelle – qui est inique, l'Ange – pour mettre en place une administration électorale équitable. Le Code électoral sera révisé totalement pour y remettre les conditions de transparence. En tout cas, toute l'architecture juridique et institutionnelle permettra d'organiser des élections transparentes, libres et inclusives dans notre pays et d’éviter le retour aux cycles de violences.
Fri, 19 Apr 2024 - 933 - Afrique: «Evgueni Prigojine meurt, l’intérêt Wagner demeure»
Nos invités sont nos confrères Benjamin Roger et Mathieu Olivier. Les journalistes de Jeune Afrique sont spécialistes du continent et viennent de publier aux éditions Les Arènes : Wagner, l'histoire secrète des mercenaires de Poutine. Une plongée en investigation sur les ramifications africaines d'un système de mercenaires de mieux en mieux établis sur le continent.
RFI : On vous reçoit aujourd'hui pour parler d'une bande dessinée que vous venez de faire paraître avec votre camarade de dessin, qui s'appelle Thierry Chavant. Le titre, c'est Wagner, l'histoire secrète des mercenaires de Poutine. C'est ce dont on va parler, bien sûr. Mais tout d'abord, expliquez-nous pourquoi vous avez choisi le support de la bande dessinée, c'était pour rendre les choses plus pédagogiques, plus accessibles ?
Mathieu Olivier : Oui, il y a un intérêt à toucher un public qui est plus grand sur des affaires africaines, qui n’attirent pas forcément beaucoup le regard à la base. Donc, nous, étant journalistes à Jeune Afrique, on a l'habitude de s'adresser à des spécialistes. Là, c'était l'occasion de parler de la Centrafrique, du Cameroun, du Mali à un public beaucoup plus large. Et puis, nous, on est des lecteurs de bande dessinée et de bande dessinée d'investigation. Donc ça, ça nous a paru assez vite, très logique.
Donc, le groupe Wagner a une histoire pas si secrète que ça, puisque vous en parlez régulièrement dans les pages de Jeune Afrique, bien sûr. Et vous établissez une chronologie de l'évolution du groupe, d'abord, évidemment, en Ukraine et en Europe, mais surtout très rapidement en Afrique. La première expérience en Afrique, c'était où ?
M.O. : La première grosse expérience, c'est au Soudan et surtout en Centrafrique, ensuite. C'est pour ça qu'on a appelé ça, nous, le laboratoire centrafricain. On s'est rendu compte que Wagner testait finalement tout son système, c'est-à-dire son offre de sécurité au président Touadéra, c'est son système d'entreprise dans le bois, dans l'or… Enfin, voilà, c'est devenu très tentaculaire, donc en fait, ce système mafieux qu'on a voulu raconter tout au long de la BD, il s'est mis en place en Centrafrique et ensuite, il est venu s'exporter au Mali. Voilà, on a vraiment voulu montrer cette première expérience centrafricaine qui, en plus, vient dans un contexte de sentiments anti-français où on a vu le recul de la diplomatie française, des intérêts des entreprises françaises. Ce jeu de propagande entre Moscou et Paris, c'est tout ça que raconte finalement Wagner et Evgueni Prigojine en Afrique, quoi.
Ce qui est assez marquant d'ailleurs, dans la bande dessinée, puisque vous en parlez, c’est la sorte de candeur ou d'innocence du ministère des Affaires étrangères français quand il voit arriver Wagner en Centrafrique et puis ensuite au Mali. Les ambassadeurs, les relais français en Afrique émettent des alertes et finalement, on prend ça un peu par-dessous la jambe ?
Benjamin Roger : C'est aussi un peu ce qu'on raconte dans ce livre et dans cette BD. C'est d'abord le succès assez fulgurant finalement, en quelques années, des Russes à travers Wagner en Afrique. Et en creux, c'est aussi évidemment l'échec des autorités françaises depuis plusieurs années qui n’ont pas vu ou qui n'ont pas voulu voir et qui, petit à petit, des signaux s'amoncelaient de la Centrafrique jusqu'au Mali. Et aujourd'hui, il y a le Burkina Faso, maintenant, il y a le Niger. Tout au long de ces années, il y a eu plusieurs signaux. Alors les Français ont fini par voir, par comprendre, mais toujours avec un train de retard.
Sur le modèle économique, puisque Wagner en Afrique est un business model, il y a la façon de se rémunérer. Donc, c'est de l'or bien sûr, on en a parlé, du café, de la brasserie, tout un tas d'activités en Afrique. Ce qu'on sait moins, c'est qu'une fois que ces ressources sont exploitées, elles transitent par Douala ou par Dubaï. Ça, c'est quelque chose dont on parle un petit peu moins.
BR :Wagner, est évidemment connu comme un groupe de mercenaires, mais en fait, c'est bien plus que ça. C'est une énorme nébuleuse de différentes sociétés, dans différents domaines, et notamment des sociétés écrans. Il y a un modèle de prédation, clairement, où on va aller se servir directement sur la bête, entre guillemets. Par exemple dans les mines en Centrafrique, c'est ce qu'ils essayent de faire au Mali en ce moment, ils sont là avec l’orpaillage artisanal. Au Soudan, pareil, c'était dans des mines. On voit les différents secteurs et business dans lesquels ils sont, après ce qui est très difficile : c’est à chiffrer. Concrètement, combien de kilos de tonnes d'or ont-ils réussi à sortir en 2023 de Centrafrique, du Mali, et qu'est-ce que ça représente concrètement en argent ? Alors, il y a eu deux, trois études, des rapports faits par des organismes internationaux, des ONG, mais ce sont des estimations, c'est très difficile à chiffrer, mais on parle là de plusieurs dizaines, voire centaines de millions de dollars.
Prigojine est décédé. Wagner s'appelle désormais Africa Corps. Est-ce que cela veut dire que vous préparez un deuxième volume de votre BD ?
MO : Il pourrait y en avoir un. Effectivement, c'est ça qui est assez extraordinaire, c'est-à-dire que Wagner n’a pas disparu. Les hommes de Wagner et les hommes qui étaient les hommes de Prigojine sont pour la plupart toujours en poste avec une tutelle plus importante du renseignement militaire russe. Donc, c'est une reprise en main depuis la mort de Prigojine, de la part du Kremlin et du ministère de la Défense russe. Mais les activités demeurent, que ce soit en Centrafrique, on voit que, malgré quelques tentatives du côté des Américains de venir gêner les activités Russes à Bangui, les héritiers de Wagner sont toujours omniprésents autour de Faustin-Archange Touadéra. Au Mali, on voit qu’ils sont toujours omniprésents autour d'Assimi Goita. Leur influence est de plus en plus importante au Burkina Faso. C'est ce qu'on voulait aussi raconter, en fait. En racontant Wagner, on racontait pourquoi Wagner allait survivre à Evgueni Prigojine, c'est-à-dire Evgueni Prigojine meurt, l’intérêt Wagner demeure.
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Fri, 19 Apr 2024 - 932 - Tchad: le Premier ministre Succès Masra demande aux électeurs «cinq ans pour mettre fin à 60 ans d’obscurité»
Au Tchad, le président Mahamat Idriss Déby Itno et le Premier ministre Succès Masra sont tous deux candidats à la présidentielle du 6 mai. Après l’interview du chef de l’État, voici celle du Premier ministre, qui promet, s’il est élu, « un paquet minimum de dignité » intégrant éducation, santé et logement pour chaque Tchadien. Craint-il la fraude ? Que répond-il à ceux qui le considèrent comme un « traitre » ? Quel sort réservera-t-il, s’il est élu, aux bases militaires françaises ? Succès Masra répond aux questions de nos envoyés spéciaux à Ndjamena, Christophe Boisbouvier de RFI, et Marc Perelman de France 24.
RFI/France 24 : Vous êtes candidat mais, depuis que vous êtes Premier ministre, on a quand même vu des développements inquiétants pour la population : la hausse du carburant de 40 %, on a vu des délestages, on a vu des grèves. Est-ce que tous ces mécontentements ne risquent pas de vous handicaper pour atteindre votre but, c'est-à-dire la présidence de la République ?
Non, au contraire. Je suis arrivé à la tête du gouvernement, les enfants étaient en grève depuis trois mois. La première chose que nous avons faite, c'est de remettre les enfants à l'école, c'était le premier acte. Ensuite, nous arrivons à la tête du gouvernement dans un pays pratiquement en banqueroute, qui est dernier sur l'indice du développement humain et qui a des défis de développement cumulés depuis des décennies. Je suis arrivé à la tête du gouvernement, 90 % des Tchadiens n'ont jamais vu l'électricité depuis l’indépendance. Et donc, ce sont des citoyens matures et lucides, qui savent que je viens avec un projet de gouvernement, que tout le monde avait d'ailleurs approuvé. Leur seule inquiétude était de savoir si j'avais suffisamment de temps pour le mettre en œuvre. C'est l'occasion de demander le temps - cinq ans - aux Tchadiens, pour mettre fin à 60 ans d'obscurité. Ce n'est pas en 60 jours, et ça aussi, ils le savent. Mais nous avons besoin d'un peu de temps. C'est ça que nous allons leur demander et ils en sont conscients.
Vous dites que vous veillerez à ce que la présidentielle du 6 mai soit transparente. Mais l'opposition dit que les organes qui vont arbitrer ce scrutin, à commencer par l’Agence nationale de gestion des élections (Ange) et le Conseil constitutionnel, sont contrôlés par la présidence qui en a nommé tous les membres. Est-ce que vous ne vous bercez pas d'illusions ?
Non, au contraire. Dans les élections précédentes, un chef d'État pouvait nommer les membres d'un organe chargé des élections, puis les « virer » - si vous me permettez l'expression - à la veille de la proclamation des résultats. Aujourd'hui, nous avons des membres de ces organes qui sont nommés de manière inamovible, dont le mandat est plus long que celui du président de la Transition et donc, demain, celui du président de la République qui sera élu. Ces organes vont organiser deux élections [présidentielles, cette année et dans cinq ans, NDLR]. En réalité, nous avons des institutions meilleures que celles que nous avions jusqu'à présent. C'est valable pour ces organes, c'est valable pour la Constitution, qui nous donne aujourd'hui les droits et les devoirs qui nous permettent, là, d'être autour de la table. Donc, en réalité, nous sommes en meilleure condition aujourd'hui.
Vous savez, en 2021, le président Idriss Déby Itno - paix à son âme - n'a pas osé m'affronter à une élection. Il a même introduit dans la Constitution une clause « anti-Masra » - c’est comme ça que les Tchadiens l'appellent - [instaurant un âge minimum] de 40 ans, parce qu'il ne voulait pas que je sois candidat, parce qu'il savait que je pouvais gagner et que j'avais beaucoup de chances de gagner. Aujourd'hui, je suis en meilleure condition de l'emporter, sans doute dès le premier tour. Et donc je ne me berce pas d'illusions. Je fais partie de ceux qui organisent pour que ça soit transparent pour tout le monde.
Pour beaucoup de Tchadiens, votre retour au pays, votre nomination comme Premier ministre, votre candidature maintenant, tout ça ferait partie d'un accord secret passé entre vous et le président de la Transition Mahamad Idriss Déby Itno. Les termes de l'accord seraient qu’il gagnerait l'élection présidentielle et qu’il vous reconduirait comme Premier ministre. Que répondez-vous à ceux qui pensent cela ?
Vous savez, je suis là d'abord au nom de la réconciliation nationale. Ce n’est pas un mot, c'est une attitude, ce sont des actes.
Cela peut être un accord aussi.
Mais je suis là aussi parce que je représente une force politique, que je considère même majoritaire dans ce pays, et donc nous sommes dans une cohabitation qui ne dit pas son nom. Voyez-vous, je suis là au nom d'une Constitution de la République dont je suis chef de gouvernement, qui me donne des droits et des devoirs, qui donne des droits et des devoirs aussi au président de Transition. C'est une première dans l'histoire de notre pays, peut-être même sur le continent africain. Un Premier ministre, mais nous sommes en transition, et un président de Transition peuvent présenter leur projet de société. Nos différences sont connues, tout comme nos complémentarités. Et nous allons devant le peuple parce queVox populi, vox Dei (« la voix du peuple est la voix de Dieu »- NDLR).
Vous savez, je connais le prix de la démocratie et je veux contribuer au difficile accouchement de la démocratie. Il m'a fallu quatre ans pour avoir le droit que le parti Les Transformateurs puisse exercer. Il m'a fallu cinq ans pour avoir le droit d'organiser des meetings. Vous avez vu par quoi nous sommes passés : le droit de marcher, ça s'est fait dans la douleur, même dans le sang, si vous le permettez. Donc, moi je suis là au nom de la démocratie. Je suis rentré dans l'avion de la transition pour m'assurer qu'il y ait un atterrissage à l'aéroport de la démocratie.
Parce qu'à la fin de la transition, les Tchadiens vont choisir ceux qui vont - si vous me permettez l'expression - organiser le prochain décollage. Et je souhaite être le pilote principal de ce prochain décollage-là, pour conduire les Tchadiens à la destination « terre promise des opportunités pour chaque Tchadien, chaque Tchadienne ». Voilà l'enjeu. Donc, nous nous battons pour que la démocratie soit une règle dans ce pays. Et c'est au nom de cela que nous sommes là, en tout cas.
Vous n’avez pas répondu... Y’a-t-il eu un accord secret ?
Vous êtes des grands journalistes. S'il y a un accord, présentez-le. Au début, on a dit que l'accord de Kinshasa [du 31 octobre 2023] n'était pas visible parce que ça comporterait des choses horribles. Lorsque l'accord de Kinshasa a été présenté, tous ceux qui avaient dit ça se sont rendu compte qu'en réalité, il n'y avait rien d'horrible. J’ai signé un accord qui garantit mes droits, mes devoirs, mes droits politiques, qui permet au Tchad de s'inscrire sur le chemin de la réconciliation nationale.
Vous imaginez qu’on dise à Nelson Mandela, quand il serre la main à Frederik de Klerk, qu'il a abandonné sa lutte pour la justice et pour l'égalité ? Non, au contraire, il faut réconcilier. Et si l’on m'en donne l'onction, ceux qui gèrent aujourd'hui la transition à mes côtés auront leur place, y compris le président de Transition. Demain, moi président, il aura sa place à mes côtés pour m'aider, par exemple, à réformer l'armée de notre pays, qui en aura besoin. C'est un projet de société réconciliant, suffisamment grand, je pense, pour embarquer tout le monde, parce qu'il faut avancer avec l'ensemble des Tchadiens. Voilà l'esprit central de ce qui nous guide aujourd'hui.
Alors, même s'il n'y a pas eu d'accord secret entre le président Mahamad Idriss Déby et vous-même, vous vous êtes «réconciliés » - comme vous dites - avec le chef d'État qui a présidé à la répression du 20 octobre 2022, qui a fait entre 73 et 300 morts, c'est considérable. Beaucoup de victimes étaient vos partisans, vos militants... Par conséquent, après la réconciliation, après l’amnistie générale et l’impunité pour les auteurs de cette répression, beaucoup de vos anciens amis, vous ont considéré comme traître. Ne craignez-vous pas, Monsieur le Premier ministre, que tous ces partisans déçus ne se tournent vers d'autres candidats à cette présidentielle, comme par exemple l'ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké ?
Je crois dans la réconciliation, je crois dans la justice. La justice, ce n'est pas la vengeance. Êtes-vous en train de dire que j'ai fait beaucoup de concessions pour privilégier un Tchad réconcilié ? Oui, j'ai fait des concessions pour privilégier un Tchad réconcilié. Je vais donner un autre exemple, celui de mes amis qui sont arrivés au pouvoir au Sénégal. Au Sénégal, un pays qui a connu plusieurs alternances démocratiques, il y a eu des gens qui sont morts. Savez-vous ce qui a permis à Ousmane Sonko et à Bassirou Diomaye Faye de sortir ? Il y a eu une amnistie. Moi, je me suis préoccupé des vivants. Il y avait les morts dont la mémoire doit être honorée.
Mais il y avait des jeunes de 25 ans, de 30 ans, qui étaient condamnés à vie et qui avaient une sorte d'épée de Damoclès sur leurs têtes. Pendant un an, ceux auxquels vous faites allusion, qu'ont-ils fait pour enlever ces fausses condamnations ? Moi, je me suis assuré que ces vivants-là, ces jeunes-là ne vivent pas la prison à vie. Et donc, ils ont eu leurs fausses condamnations, d'une certaine manière, enlevées. Est-ce que si c'était à refaire, je l'aurais refait ? Oui, je l'aurais refait. Parfois, c'est aussi ça être un homme d'État, voyez-vous ?
Vous ne craignez pas de perdre des voix...
Non, au contraire !
... avec tous ceux qui estiment qu'ils sont trahis par vous ?
J'en ai plutôt engrangé. La plupart de ceux qui disent ça ne peuvent même pas réunir cent personnes. Les Tchadiens savent que j'étais hors du pays avec un poste de responsabilité à la Banque africaine de développement. J'ai abandonné, je suis rentré. Je suis chef du gouvernement, mais je ne n'utilise pas le salaire de Premier ministre. Je donne ces exemples-là pour illustrer le fait que, dans le cœur de ce peuple, ils sont convaincus de mon engagement sincère pour faire en sorte que dans chaque foyer tchadien, il y ait un paquet minimum de dignité : électricité, éducation, santé, eau. Et puis un minimum de droits décents et de possibilités de sécurité. Ce sont des choses simples sur lesquelles les Tchadiens ont besoin de résultats. Pour les 22 000 villages où il y a 70 % de nos populations qui vivent, pour les milieux urbains où les 200 000 jeunes tchadiens qui rentrent sur le marché de l'emploi chaque année ont besoin d'emplois. Sur ces choses, nous avons un projet de société clair, co-construit avec ces Tchadiens et c’est ce projet-là qui est majoritaire.
Et d'après vous, le choix du peuple serait la victoire dès le premier tour ?
Nous en sommes convaincus.
Parlons de la France, des questions très concrètes. Si vous êtes élu, il y a plus de 1 000 soldats français stationnés au Tchad, il y a 3 bases militaires. Est-ce que vous dites « Continuons comme ça », sachant que dans d'autres pays du Sahel, l'armée française est partie ? Ou vous dites « Non, il faut revoir ça, nous n’avons pas besoin d'autant de soldats français, nous sommes en 2024 ». Est-ce que, de façon très concrète, vous réduisez la voilure ?
Je voudrais aider la France elle-même à regagner sa dignité.
L'a-t-elle perdue ?
Ça me fait de la peine que la France, les forces de défense et de sécurité françaises aient l'impression d'être devenue des SDF [sans domicile fixe - NDLR] sur le continent africain. On pourrait éviter à la France cette image, où on conseille à un chef des armées français : « Déménagez d'ici, allez dans ce pays, c'est sûr ». Et puis, deux mois plus tard, ce n'est plus sûr dans ce pays. Au minimum, cela veut dire que ce chef des armées français a été induit en erreur. Au pire, l'approche n'est pas la bonne.
Je souhaite être à la tête d'un État du Tchad solide, partenaire sûr, avec lequel la France peut travailler. Et dans ce partenariat sûr que j'entends développer, il y a des choses qui relèvent des choses du siècle passé. Je crois que même l'approche française aujourd'hui est appelée à évoluer là-dessus. Est-ce que maintenir de manière durable ad vitam æternam des troupes étrangères sur un sol est quelque chose de défendable ? On peut être au même niveau d'efficacité, mais peut-être faire différemment : mutualiser les forces, avoir des écoles de guerre communes, partager les renseignements, avoir des approches de formation rapide, séquencées sur un temps court, mutualiser nos énergies. Cela, ce sont des pistes que nous n'avons pas suffisamment explorées.
Donc, je ne suis pas un dogmatique, je vais être très pragmatique sur la question et, en regardant vraiment page par page l'ensemble de ces accords, nous sommes capables de dire quelle est la part de modernité qui manque à cela pour nous permettre d'avancer. Cela sera mon approche et cela va être au cas par cas. Avec la France, mais pas que : avec les autres partenaires aussi, de manière à ce que nous soyons capables de dépoussiérer les partenariats du XXe siècle des éléments qui ne les ont pas amenés à rentrer totalement dans le XXIe siècle.
Wed, 17 Apr 2024 - 931 - JO 2024: les athlètes africains «se sentent très bien, et nous avons de très grandes ambitions»
Moustapha Berraf est le président de l’Association des comités nationaux olympiques d’Afrique (Acnoa) depuis 2018, mais également membre du Comité international olympique (CIO). À 100 jours des Jeux olympiques, il est actuellement au Nigeria pour une réunion du comité exécutif de son organisation. Au micro de Kaourou Magassa, il revient sur les préparatifs des Jeux olympiques pour les athlètes africains.
RFI : À 100 jours des Jeux, dans quel état d'esprit sont les athlètes africains avec qui vous êtes en contact ?
Moustapha Berraf : Les Jeux olympiques sont une étape très importante pour l'athlète, extrêmement importante, et je crois que beaucoup d'athlètes africains sont conscients de cela et essayent de tout mettre en œuvre avec tous les moyens adéquats aujourd’hui pour réussir à se qualifier aux Jeux olympiques. C'est vraiment un grand défi.
De nombreux athlètes africains francophones s'entraînent en France et en Europe. Cette situation n'illustre-t-elle pas encore une fois le manque d'infrastructures sur le continent ?
Il y a un manque de moyens matériels au sein du continent parce que beaucoup de pays du continent ont d'autres priorités. Vous savez qu'il y a des problèmes énormes de santé publique, qu'il y a des problèmes énormes de travail. Et le sport n'est pas une des priorités, sauf quand il y a des médailles. Donc nous avons lancé un programme depuis longtemps qui s'appelle « Olympafrica », en étroite collaboration avec le CIO. Nous avons cinquante centres où nous recueillons des jeunes, des enfants, qui allient leur formation à une préparation physique et une préparation technique à la hauteur. Donc, je pense que - comme vous dites, le fait qu'il n'y ait pas suffisamment d'infrastructures, que les conditions de préparation ne sont pas partout dans d'excellentes conditions -, certains athlètes vont vers l'Europe.
Au moment où on se parle, quel bilan peut-on faire de la préparation des athlètes africains ?
Les athlètes concernés par les Jeux olympiques sont dans des programmes que nous avons initiés au niveau de l’Acnoa et pour les potentiels médaillables. Il y a un travail qui est en train de se faire qui permet aux athlètes qui en ont les potentiels de bénéficier de bourses pour pouvoir se préparer convenablement, surtout avec l'apport du programme de Solidarité olympique du CIO, qui n'a lésiné sur aucun moyen pour permettre à nos athlètes d'obtenir des médailles.
Aux dernières olympiades, l'Afrique a obtenu dans sa globalité 37 médailles dont 11 en or. Quels sont les objectifs fixés pour cette année ? La grande majorité des médailles africaines sont en athlétisme. D'autres disciplines peuvent-elles pourvoir le continent en médailles ? Doit-on s'attendre à des surprises ?
Nous pensons réussir au cours des jeux de Paris un résultat qui sera supérieur de 15% par rapport aux anciens résultats que nous avons obtenus jusque-là. L'athlétisme, effectivement, est l'un des grands pourvoyeurs de médailles. Mais nous voyons une grande amélioration concernant le taekwondo, concernant certaines disciplines de sport de combat, la boxe, etc. Je pense qu'il y aura quand même des résultats peut-être inattendus. Nos athlètes se sentent très bien et nous avons dans nos perspectives de très grandes ambitions.
La semaine dernière, les handballeuses camerounaises n'ont pas pu participer à un tournoi de qualification en Hongrie, faute de visa. Avez-vous pris des mesures pour garantir une participation de toutes les personnes qualifiées pour ces Jeux ?
Effectivement, j'ai appris cela et nous en avons vraiment été grandement offusqués. D'ailleurs, j'ai appelé ce matin même mon ami le président du Comité olympique national français pour voir avec lui quelles pourraient être les difficultés à rencontrer pour les athlètes africains qui vont participer aux Jeux olympiques. Je pense que, comme vous le savez, nous avons un accord de coopération et d'échange avec le Comité national olympique français qui nous gratifie de toute sa bonne volonté et de toute sa disponibilité.
Mais pouvons-nous être sûrs que les différents athlètes africains seront présents aux jeux de Paris ? Je pense notamment aux pays comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, où il y a des difficultés au niveau des ambassades pour avoir des visas, par exemple.
Soyez certain que nous prenons à bras le corps cette question et que nos interlocuteurs en France sont très conscients de la situation. Les athlètes du Mali, du Niger et du Burkina Faso seront présents aux Jeux olympiques de Paris. Les Jeux sont apolitiques et nous ferons en sorte à ce que cela reste apolitique. Honnêtement, je crois que la question des visas, la question de la participation a été réglée. Je peux vous dire que depuis moins d'une année, je me suis permis d'adresser une correspondance à son Excellence Monsieur le président de la République et nous avons vu une évolution très positive depuis. Donc, Monsieur Macron, je suis sûr, n'acceptera aucun dépassement et n'acceptera aucune tendance à faire preuve de discrimination ou de racisme de la part de qui que ce soit.
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Wed, 17 Apr 2024 - 930 - Mahamat Idriss Déby, président tchadien: «Le Tchad n’est pas dans le principe d’un esclave qui veut changer de maître»
Sa parole est rare. Pour la première fois depuis sa rencontre du 24 janvier dernier à Moscou avec son homologue russe Vladimir Poutine, le président de la transition tchadienne s’exprime, et c’est sur Radio France internationale et France 24. Veut-il chasser les militaires français de son pays et les remplacer par des militaires russes ? Veut-il fonder une dynastie au pouvoir ? Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier et de Marc Perelman.
RFI/France 24 : L’élection présidentielle est prévue le 6 mai 2024, très bientôt. Pour beaucoup, cette élection est déjà jouée d’avance. Une certaine partie de l’opposition parle d’une mascarade, en affirmant que vous contrôlez tous les leviers : le Conseil constitutionnel, l’organe de supervision des élections ANGE. Est-ce que c’est une élection ou un simulacre d’élection qui va avoir lieu, ici, au Tchad ?
Mahamat Idriss Déby : Je crois qu’on a fait un long chemin. Ce long chemin, on l’a fait avec l’ensemble de la classe politique et aussi une grande partie aussi des ex-politico-militaires [les ex-rebelles, NDLR]. Et toutes les institutions qui sont issues de la nouvelle Constitution sont des institutions indépendantes. Notamment l’institution qui est la plus importante, à laquelle vous faîtes référence, c’est l’Agence nationale de gestion des élections, ANGE. Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, l’ANGE est créée par la loi fondamentale, donc, adoptée par le peuple tchadien. Et, aujourd’hui, l’ANGE est indépendante.
Donc, je crois que ceux qui disent que c’est une mascarade ou bien que c’est une élection qui est déjà jouée d’avance, bon, je les comprends : c’est aussi ça, la politique, c’est de bonne guerre. Mais moi, je fais confiance à cette agence qui va jouer pleinement ce rôle de manière indépendante. Et vous allez voir que, le 6 mai prochain, les Tchadiens vont choisir, vont élire le président qui va diriger ce pays pendant les cinq prochaines années. Et le choix du peuple sera respecté.
Le 28 février 2024, l’opposant Yaya Dillo a été tué dans un assaut de l’armée tchadienne contre le siège de son parti, à Ndjamena. « C’est une exécution à bout portant », affirme son parti. « Le corps de Yaya Dillo porte l’impact d’une seule balle dans la tempe », précise l’ONG Human Rights Watch. Que répondez-vous à ceux qui affirment que vous avez fait éliminer votre opposant le plus farouche ?
Écoutez, je voudrais dire en quelques mots ce qu’il s’est passé. Monsieur Yaya Dillo et ses militants ont attaqué le siège des services de renseignement avec des armes de guerre. Est-ce qu’un parti politique a le droit des armes ? Est-ce que les militants d’un parti politique ont le droit d’avoir des armes ? C’est ça, la question. Donc, pendant cette attaque macabre, il y a eu des morts : des morts du côté des forces de défense et de sécurité, et aussi parmi les militants du PSF [Parti socialiste sans frontières, NDLR]. Donc, il était tout à fait normal pour un État que celui qui a conduit cette attaque doive être arrêté pour répondre de ce qu’il a fait, de ses actes. Et la police est intervenue pour l’arrêter. Il n’a pas voulu obtempérer. Au contraire, il a tiré sur les forces de l’ordre et les forces de l’ordre ont répliqué. Il y a eu des morts des deux côtés. Maintenant, l’affaire est entre les mains de la justice. Nous allons attendre la décision de la justice. Et nous avons dit très clairement que nous sommes aussi ouverts à une enquête indépendante, ce qui veut dire que nous n’avons rien à cacher sur cette histoire.
Vous êtes ouvert à une enquête…
Internationale.
Dans combien de temps ?
Dès le début, nous avons fait un communiqué pour expliquer à l’opinion nationale et internationale ce qu’il s’est passé. Et nous avons aussi demandé une enquête indépendante.
Cette campagne est un peu atypique parce que vous allez affronter plusieurs candidats, notamment votre Premier ministre, qui a longtemps été un farouche ennemi : Succès Masra. Est-ce qu’il y a un accord entre vous – beaucoup le pensent – pour que, par exemple si vous gagnez (comme beaucoup le pensent), vous le reconduisiez automatiquement comme Premier ministre ? Est-ce qu’il y a un deal avec Succès Masra ?
Écoutez, dans la logique d’une transition apaisée, nous avons toujours tendu la main pendant ces trois ans de transition. Et Succès Masra est un Tchadien, chef de parti politique. Il a fait des erreurs et a reconnu ses erreurs. Il a voulu rentrer au Tchad. Donc, il est passé par des facilitateurs désignés [par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, NDLR], notamment le président de la RDC Félix Tshisekedi. Nous avons accepté la main tendue et nous avons signé un accord pour qu’il revienne au pays. Maintenant, il est candidat, je suis candidat. Il n’y a aucun accord entre nous.
Au Soudan, pays voisin, cela fait un an que la guerre civile fait rage entre le camp du président Abdel Fattah al-Burhan et celui du général Hemedti. Ce 9 mars, aux Nations Unies, le représentant du président al-Burhan vous a accusé d’approvisionner en armes les troupes du général Hemedti – et je vois que ça vous fait sourire – de concert avec les Émirats arabes unis. Que répondez-vous à cette accusation ? Et, peut-être de façon plus globale, pourquoi ne condamnez-vous pas cette rébellion du général Hemedti qui s’appuie notamment sur les milices janjawids qui ont beaucoup fait souffrir les habitants du Darfour depuis 20 ans ?
Ce qui me fait sourire, c’est que c’est archi-faux, ce que vous dîtes. Un peu d’histoire, revenons en arrière : je crois que le Tchad n’a jamais agressé le Soudan. Maintenant, par rapport à ce qu’il se passe au Soudan, dès les premières heures de la transition [à partir d'avril 2021, NDLR], nous avons tout fait pour éviter cette guerre. La preuve : nous avons invité le président al-Burhan, ici, à Ndjamena, et nous avons invité le vice-président Hemedti à Ndjamena, pour leur prodiguer des conseils, pour leur dire que la guerre n’est pas une solution. Maintenant, ce qui se passe au Soudan, c’est d’abord qui a créé les janjawids ? Qui est responsable des 300 000 morts [estimation du nombre de victimes civiles durant la guerre du Darfour, NDLR] ? C’est le régime soudanais qui les a créés. Qui a créé les FSR [Forces de soutien rapide, groupe paramilitaire soudanais dirigé par le général Hemedti, NDLR] ? C’est le régime soudanais qui a créé les FSR.
Donc, le régime soudanais est en train de récolter en quelque sorte ce qu’il a semé. Ce qui se passe au Soudan, c’est une guerre soudano-soudanaise. Nous, ça ne nous regarde pas. Et malheureusement, jusqu’à présent, la guerre continue et je vais profiter de votre micro pour appeler les deux généraux à cesser immédiatement la guerre et privilégier le dialogue. Cette guerre, ceux qui en souffrent le plus, c’est d’abord le peuple soudanais. Ensuite, c’est le Tchad qui en souffre : depuis 2003, nous abritons sur notre sol plus de 600 000 réfugiés soudanais. Aujourd’hui, on compte plus de 2 millions de réfugiés. Donc, cela crée non seulement l’insécurité, des problèmes humanitaires et aussi des problèmes environnementaux. Donc, je crois que ce qui se passe au Soudan, c’est un problème soudano-soudanais et ça ne nous regarde pas du tout, ça ne regarde pas le Tchad.
Vous avez fait une visite très remarquée à Vladimir Poutine, fin-janvier 2024. Vous avez dit que la Russie est un « pays frère». Est-ce que vous envisagez une coopération militaire avec Moscou du même type à celle que votre voisin, le Niger, vient d’engager ? Est-ce que Vladimir Poutine vous l’a proposé ?
Nous avons eu des échanges très fructueux avec le président Poutine, dans le respect mutuel, et sur des sujets sur lesquels nous nous entendons. Sur des sujets qui nous concernent, entre deux États souverains.
Y compris sur la coopération sécuritaire ? Est-ce que c’est sur la table ?
Il n’y a pas que la coopération militaire. Il y a d’autres coopérations. Pourquoi toujours parler de coopération militaire quand il s’agit de pays africains ? Il y a d’autres coopérations : il y a les coopérations économiques qui sont très importantes aujourd’hui pour nos pays. On a parlé de beaucoup de sujets : on a parlé de coopération militaire, de coopération économique, de coopération diplomatique. Il y a une panoplie de sujets sur lesquels, avec le président Poutine, nous avons discuté. Et je peux vous dire que je suis satisfait de cette visite.
Est-ce que vous envisagez un changement d’alliance militaire ? Est-ce que vous envisagez de lâcher votre alliance avec la France pour nouer une alliance avec la Russie ? Ou est-ce que vous comptez conserver votre alliance militaire avec la France au vu de ce qu’a dit l’envoyé personnel du président français, Jean-Marie Bockel, à la sortie d’une audience que vous lui avez accordé il y a un mois (« Il faut rester au Tchad et, bien sûr, nous resterons») ?
Écoutez, le Tchad est un pays indépendant, libre et souverain. Nous ne sommes pas dans le principe d’un esclave qui veut changer de maître. Nous avons l’intention de travailler avec toutes les nations de monde, toutes les nations qui nous respectent et qui veulent travailler avec nous en se respectant mutuellement.
Ce qui veut dire que, concrètement, le contingent français de plus de 1 000 hommes et les trois bases militaires françaises qui sont actuellement installées au Tchad vont être maintenues ?
En ce qui concerne la France, comme vous l'avez dit tout à l'heure, Monsieur Bockel [l'envoyé personnel d'Emmanuel Macron pour l'Afrique, NDLR] a fait une visite au Tchad. Avec lui, nous avons eu des discussions sur le futur de nos coopérations. Nous avons eu des échanges, nous allons continuer nos échanges et ensemble, souverainement, nous allons décider de nos futures coopérations. Et ces coopérations ne doivent pas se limiter seulement à la défense. Il y a d'autres coopérations aussi, notamment la coopération économique. C'est la coopération économique qui nous tient le plus à cœur aujourd'hui, plus que la coopération de défense.
Il se pose une question à travers cette élection. Est-ce que vous vous engagez à vous présenter seulement pour un ou deux mandats ou est-ce que, comme craignent certains, une « dynastie Déby » est en train de s'installer ?
[Rire] D'abord, il faut savoir que moi je suis un candidat et j'ai un programme qui est ambitieux, que je vais présenter au peuple tchadien. Maintenant, c'est au peuple tchadien de décider, même si je suis confiant. Je suis confiant dans mon programme par rapport à tous les actes que j'ai faits, par rapport au respect des engagements que j'ai pris pour la transition : notamment organiser le dialogue national inclusif, organiser le référendum constitutionnel. Les Tchadiens savent que je suis un homme d'action et un homme de parole.
Si je suis élu, je vais faire mon mandat de cinq ans et à la fin de mon mandat, ce sera au peuple de me juger. Ce sera au peuple tchadien de me juger par rapport à ce que j'ai proposé. Quant à la dynastie à laquelle vous faites référence, notre Constitution est très claire. Un candidat ne peut pas faire plus de deux mandats successifs. Et je voudrais rassurer le peuple tchadien que je vais respecter et que tout le monde va respecter la Constitution qui a été adoptée et votée par le peuple tchadien.
Mon, 15 Apr 2024 - 929 - Au Soudan: «Nous voulons l’aide de la communauté internationale pour engager un dialogue réel»
Il y a un an, des affrontements éclataient à Khartoum et ouvraient un cycle de guerre entre l'armée du général Al Burhan et les paramilitaires du général Hemedti, forçant à l'exode des millions de Soudanais. Les élites politiques et de la société civile soudanaises se sont elles aussi dispersées dans un premier temps, mais s'efforcent depuis de faire entendre une autre voix que celle des militaires. Parmi elles, une coalition nommée « Taqaddum », la Coordination des forces civiles démocratiques, dirigée par l'ancien Premier ministre Abdallah Hamdok. Alors que Paris accueille ce lundi une conférence humanitaire sur le Soudan, notre grand invité Afrique ce matin est l'un des cadres de Taqaddum, le diplomate Nureldin Satti.
RFI : Qui est responsable de la situation dans laquelle se trouve le Soudan, un an après l'éclatement de la guerre ?
Nureldin Satti : Ce sont les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, qui ont perpétré le coup d'État du 25 octobre 2021, qui ont décidé d'arrêter le processus de transition démocratique, qui avait commencé deux ans auparavant.
Donc, pour vous, la descente aux enfers a commencé avec le coup d'État des militaires ?
Absolument. Ce qui se passe là est impensable. La guerre a atteint un degré incroyable, une sauvagerie inimaginable. Il faut trouver des solutions dans le fond de la société elle-même. C'est une société malade, donc elle ne sent pas qu'il y a des problèmes historiques à régler. Il y a un problème au Darfour, une marginalisation historique. Nous reconnaissons qu'il y a un problème entre les islamistes et le reste de la société, entre les civils et les militaires. Nos amis peuvent nous aider, mais finalement, le début de cette guérison est chez nous.
On parle de soutien de parrains internationaux aux deux généraux, al-Burhan et Hemedti. Est-ce que vous diriez que la guerre au Soudan est une guerre internationale ?
Il y a des allégations selon lesquelles il y aurait, d'un côté, des pays voisins du Soudan qui soutiendraient les Forces armées soudanaises, qu'il y a certains pays du Golfe, arabes, qui soutiendraient les Forces de soutien rapide. Ce sont des accusations, des allégations, mais il nous faudrait des preuves. On peut dire que c'est une guerre régionale qui s'internationalise, maintenant, avec l'implication même de la Russie et de l'Ukraine, l'Ukraine du côté, paraît-il, de l'armée nationale, et la Russie du côté des Forces de soutien rapide.
Est-ce qu'il y a un risque de déstabilisation de la région ?
Oui, absolument, ça commence déjà d'ailleurs. Le Soudan du Sud va peut-être connaître une période de grande déstabilisation sociale, économique et probablement politique, du fait que l'approvisionnement du Soudan du Sud en pétrole a été arrêté à cause de la guerre au Soudan et le Soudan du Sud dépend à 90% des revenus pétroliers.
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Quelles sont vos principales craintes concernant la population soudanaise dans ce contexte d'un conflit qui se prolonge ?
Les craintes sont déjà là : une famine qui s'annonce imminente. Des populations qui sont déplacées un peu partout dans le pays n'arrivent pas à trouver de quoi manger.
Qu'est-ce que le mouvement Taqaddum, dont vous faites partie, attend de la réunion de Paris qui s'ouvre ce 15 avril 2024 ?
On attend que la communauté internationale, d'abord, soit beaucoup plus déterminée dans son assistance au Soudan, que les engagements financiers pris par les donateurs soient respectés. Ce n'est pas normal que l'aide qui arrive au Soudan n'arrive pas à 6% des sommes qui ont été promises par la communauté internationale. La deuxième chose, c'est aider à trouver une approche humanitaire, qu'il y ait des corridors humanitaires, des endroits protégés où les gens peuvent se réfugier et se déplacer, qu'il y ait finalement un début de coordination internationale et régionale autour de ce qu'on peut faire pour trouver un règlement au Soudan. Il n'y a pas de consensus au sein de la communauté régionale et internationale sur ce qu'on doit faire au Soudan. Il faut continuer à faire pression sur les deux belligérants pour accepter de négocier, tout d'abord.
Deuxième chose, faire en sorte que l’appui régional et international aux belligérants s'arrête et qu'ils se trouvent dans une situation dans laquelle ils ne puissent pas compter sur l'assistance régionale et internationale. Qu'il y ait un consensus, une cohésion, pour que la communauté internationale parle d’une même voix et qu'elle puisse nous aider, nous, civils, à engager un dialogue réel pour trouver une voie de sortie de cette crise.
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Mon, 15 Apr 2024 - 928 - Aki Nishio (Banque mondiale): «Au Sahel, la situation est très préoccupante»
En 2024, la Banque mondiale achèvera une nouvelle levée pour son fonds IDA, principalement destiné à l’Afrique. L'un de ses vice-présidents reconnaît que certains États pourraient baisser leurs contributions, alors que les crises se multiplient. Le sujet sera sur la table des assemblées de printemps les 15 et 16 avril.
RFI : Alors que se profile la 21ème reconstitution du fonds IDA (International development association), quel bilan peut-on faire du programme qui s’achève ?
Aki Nishio :Nous sommes encore au milieu de la seconde année, il faudra attendre la mise en œuvre de tous les projets pour avoir une idée des résultats concrets. Mais en termes de financements, nous avons de belles réussites. Sur les 93 milliards de dollars récoltés, 75 % sont allés en Afrique : lutte contre le changement climatique, développement des énergies renouvelables, insécurité alimentaire... Les pays bénéficiaires sont très demandeurs, ils sortent d’une période inédite. La pandémie, les conflits à travers le monde... Autant d’évènements qui les ont fragilisés encore plus.
Justement, face à la demande croissante, le président de la Banque mondiale a parlé d’une « expansion » de l’IDA. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Cela veut avant tout dire que nous voulons accroître les financements. Il n’y a pas d’objectif chiffré à proprement parler, mais la demande est énorme. Avec les crises successives qu’ils ont traversées, les pays bénéficiaires ont besoin de plus d’argent. Pour l’IDA20, nous avions récolté 93 milliards de dollars, soit 105 milliards ajustés pour l’inflation. C’est une bonne référence pour la suite.
Avec la guerre en Ukraine qui continue, la crise au Moyen-Orient et les élections américaines qui approchent, craignez-vous une baisse des financements cette année ?
C’est un vrai risque. Plusieurs pays nous ont dit qu’il leur serait difficile de contribuer. Il est encore très tôt pour savoir si les financements seront en baisse. Dans le même temps, nous cherchons des alternatives. Solliciter d’autres donateurs, par exemple, qui n’avaient jamais contribué jusque-là. Je pense par exemple à certains pays du Golfe. La bonne nouvelle, c’est que le nombre de pays donateurs ne fait qu’augmenter, nous sommes aujourd’hui à 59. Certains d’entre eux étaient bénéficiaires jusqu’à présent, et ils reviennent en tant que donateurs. C’est un beau message de solidarité internationale : ils rendent un peu de ce que les autres leur ont donné.
En décembre dernier, en marge d’un déplacement en Tanzanie, le président de la Banque mondiale évoquait un « ralentissement de la lutte contre la pauvreté en Afrique ». Est-ce un constat que vous partagez ?
L’Afrique était sur une très bonne trajectoire. Dans la plupart des pays bénéficiaires, le taux de pauvreté était même en déclin. Mais la crise du Covid-19 a tout changé. Dans plusieurs pays, la pauvreté a augmenté. Ce n’est évidemment pas le résultat que nous espérions, même si je pense que l’IDA a permis d’affronter cette tempête. Nous avons aidé les pays africains avec des projets de protection sociale afin d’amortir les destructions d’emplois et en investissant dans l’éducation à distance. L’heure est maintenant aux projets post-Covid. Je pense aux transports, avec le développement de corridors pour les pays enclavés. L’une de nos priorités, c’est aussi d’accompagner la révolution numérique, un domaine dans lequel l’Afrique a pris du retard.
Après les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, comment la Banque mondiale travaille-t-elle au Sahel ?
J’ai été très déçu par les événements récents au Niger. Un mois avant le coup d’État, j’avais rencontré le président Bazoum, l’un des champions de l’IDA sur le continent. Nous comptions sur lui pour transmettre le message à d’autres chefs d’État. Depuis, il est toujours en résidence surveillée. Dans ces pays, la situation est très préoccupante et il n’y a pas vraiment de bonne solution. C’est l’une des questions centrales pour l’IDA21 : comment continuer à travailler dans des pays en conflit ? Il faut davantage se concentrer sur la prévention, sur les subventions pour sortir les États de situations difficiles. Nous avons déjà un cadre pour cela, mais il faut qu’il soit plus flexible et plus efficace.
L’assistance budgétaire aux pays en transition fait-elle partie de la solution ? Est-ce envisageable ?
Pour cela, il faut un programme de réformes suffisamment solide. C’est sur cette base que nous fournissons un appui budgétaire. Il faut donc être sélectifs, et choisir les situations dans lesquelles notre aide sera utile. Nous continuerons à le faire en Afrique subsaharienne. En ce qui concerne le Mali, le Burkina Faso et le Niger, il faut vérifier d’où viendraient les éventuelles réformes. Mais dans d’autres pays classés « fragiles », nous apportons un appui budgétaire, dès lors que les gouvernements sont engagés dans les réformes.
Le 15 avril 2024, cela fera un an jour pour jour que le Soudan est en guerre. La Banque mondiale est-elle toujours présente sur place ?
Nous n’avons plus d’employés sur place. Le directeur des opérations pour le Soudan travaille d'Addis Abeba au Kenya, et fera des aller et retours à Khartoum. Ce qui se passe est évidemment très triste. D’autant plus que le Soudan était sur une trajectoire très prometteuse. Dans l’immédiat, je ne sais pas ce que peut faire la Banque mondiale sur place. Mais nous sommes au fait de la situation, et sommes prêts à reprendre nos activités dès que cela sera possible. Le plus tôt sera le mieux.
Haïti fait face à une crise sans précédent. Quel rôle peut jouer la Banque mondiale ?
Cela fait plusieurs décennies que nous sommes actifs sur place, nous avons toujours un représentant à Port-au-Prince. Les récents évènements changent la donne. Nous sommes arrivés à un point où il devient difficile de continuer nos activités. Nous sommes inquiets pour la sécurité de nos employés sur place, cela a fait l’objet de nombreuses discussions. Mais la Banque mondiale est habituée à travailler dans ce genre d’environnement.
Le 2 avril dernier, la Banque mondiale dévoilait un rapport sur l’étendue des destructions dans la bande de Gaza. Les dommages causés aux infrastructures sont estimés à 18,5 milliards de dollars, soit 97 % du PIB combiné de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. A-t-on déjà connu un tel niveau de destruction ?
C’est difficile à évaluer. Les destructions sur place sont immenses et nous demandons à la communauté internationale de se mobiliser pour aider Gaza. Le statut légal unique de ce territoire nous empêche de leur fournir directement de l’aide, puisqu’ils ne sont pas membres de la Banque mondiale. Il faut donc trouver d’autres alternatives. Mais les dégâts sur place sont bien trop importants par rapport à l’aide que nous avons fourni jusqu’à présent. Les pays donateurs doivent être au rendez-vous. Depuis plusieurs années maintenant, certains pays européens ont réduit leurs financements à Gaza. Nous ne pouvons pas occulter la réalité. Cette situation requiert toute notre attention.
Sat, 13 Apr 2024 - 927 - Gabon: «Les résolutions de notre dialogue seront soumises à un referendum» affirme Mgr Asseko Mvé
« Si les Gabonais décident d'accorder au chef de la transition, le général Oligui Nguema, un mandat présidentiel, ce ne sera que justice », déclare sur RFI le porte-parole du Dialogue national inclusif. Il y a 10 jours que ce Dialogue a démarré avec quelque 600 délégués réunis à Libreville (plus précisément à Angondjé en périphérie de Libreville). Les conclusions sont attendues à la fin du mois. L'archevêque de Libreville en préside les travaux et c'est un autre prélat catholique, Monseigneur Asseko Mvé, qui est le porte-parole de cette conférence, il répond depuis Libreville aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Les présidentielles de 2009 et de 2016 ont été marquées par des fraudes massives, comment mettre fin à la culture de la fraude au Gabon ?
Mgr Jean-Bernard Asseko Mvé :C'est un problème de volonté et d'application des textes. Nous avons assisté le mois dernier, au Sénégal, à une élection présidentielle libre et transparente. Le général Brice Clotaire Oligui et l'ensemble de ceux qui l'accompagnent dans ce challenge voudraient bien que le Gabon arrive un jour à des élections démocratiques, pour que le peuple se reconnaisse dans ses chefs.
Et si les conclusions de ce dialogue interdisent aux acteurs de la transition d'être candidat l'année prochaine, à l'exception du président de cette transition, le général Oligui Nguema, est-ce que vous ne craignez pas que les dés soient pipés ?
Ça, c'est mettre la charrue avant les bœufs. Ce n'est pas au président de la transition de décider. Il a laissé le libre choix à ceux qui sont convoqués à ce dialogue pour trouver des pistes, des voies et des moyens pour que le Gabon soit inscrit sur la liste des pays démocratiques du monde. Il y tient fermement.
Maintenant, si les Gabonais confirment – parce que nous voyons déjà dans les actions du CTRI [Comité pour la transition et la restauration des institutions - NDLR] et du président, Brice Clotaire Oligui Nguema, une certaine espérance –, si les Gabonais réunis ici à Angondjé décident de lui accorder un mandat, je pense que ce ne serait que justice et ce ne serait qu'une forme de reconnaissance par rapport aux avancées que nous pouvons constater, ici et là, depuis la prise du pouvoir par les militaires.
Et les autres acteurs de la transition, ils pourront être candidats, ou non ?
Je pense que l'article 15 de la Charte définit clairement que les autres acteurs de la transition ne pourront pas être candidats. Ceux qui ont accepté de participer à la vie politique aux côtés des militaires le savent, ils se sont engagés en connaissance de cause. Maintenant, si le dialogue national inclusif décide d'autre chose, on le proposera au général Brice Clotaire Oligui Nguema et au CTRI, qui devra en juger.
Oui, mais les conclusions de votre dialogue ne seront pas contraignantes, le général Oligui fera ce qu'il voudra après, est-ce que cela ne pose pas problème ?
Ce n'est pas vrai. Lui-même, lors de son discours d’ouverture de ce dialogue, et son excellence Monseigneur Jean-Patrick Iba-Ba sont revenus là-dessus. Rien n'est écrit d'avance. Les Gabonais, nous avons sous nos yeux des pages blanches sur lesquelles il faut écrire l’histoire de notre pays en lettres d'or. C'est à l'ensemble des Gabonais de se prononcer, mais ça, c'est sûr que tout le monde pense que les résolutions d’Angondjé devraient avoir un caractère contraignant et souverain.
Mais le général Brice Clotaire Oligui, et ceux qui, avec lui, ont pensé que les Gabonais devaient s'asseoir à Angondjé pour un dialogue national inclusif, n'ont pas voulu que ce dialogue ait un caractère souverain, parce que 600 commissaires réunis à Angondjé ne peuvent pas représenter la souveraineté de toute une République.
Il va donc falloir qu’au terme de notre dialogue, les résolutions soient soumises à un référendum. Et, à ce moment, les Gabonais dans leur ensemble pourront se prononcer s'ils se reconnaissent dans les résolutions prises à Angondjé, oui ou non, et le peuple gabonais souverain se sera prononcé. Ce ne sont pas les 600 personnes, les 600 Gabonais réunis à Angondjé, qui vont faire de notre dialogue un dialogue souverain. C'est plutôt l'ensemble des Gabonais qui aura à se prononcer lors du référendum prévu de se tenir en août prochain.
Alors quelques grandes personnalités, comme le professeur Ondo Ossa qui était le candidat unique de l'opposition il y a quelques mois, ne sont pas invitées à ce dialogue. Est-ce qu'il est vraiment inclusif ?
Disons que le dialogue est inclusif dans le sens où nous avons reçu 3.800 contributions de l'ensemble des Gabonais. Les contributions ont été analysées et synthétisées. Le dialogue est inclusif d'abord par cet ensemble de contributions, donc le dialogue est inclusif. Je pense que le professeur Albert Ondo Ossa, même s'il n'y est pas physiquement, est présent là au dialogue national à partir de l'ensemble de ces contributions – celles envoyées par lui-même, je suppose, et celles envoyées par ses adeptes.
Oui, mais tout de même, sur le plan des symboles, c'est quand même étonnant, non ? Que l'un des principaux acteurs de la vie politique gabonaise de l'année dernière soit absent de ce dialogue ?
Moi, Monseigneur Jean-Bernard Asseko, j'ai été de ceux qui ont fait la campagne du professeur Albert Ondo Ossa, et la plupart des Gabonais ici présents ont soutenu massivement le professeur Albert Ondo Ossa. Nous savons ce qu'il pense du Gabon. Nous avons à l'esprit l'ensemble des projets du professeur Albert Ondo Ossa pour le Gabon et nous les défendons ici. Nous les proposons ici au niveau du dialogue national et inclusif à Angondjé, et je pense que, si elles sont retenues, ça veut dire que l'ensemble des Gabonais y trouve une nouvelle espérance et ce sera admis.
Fri, 12 Apr 2024 - 926 - Football: au Cameroun, «le discours du président Biya a emmené le ministre des Sports à choisir un nouveau sélectionneur»
Au Cameroun, le match est serré entre la star Samuel Eto'o et le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, qui veut imposer son entraîneur à la tête de l'équipe nationale de football. Depuis une semaine, les rebondissements se multiplient. Qui va gagner ? Le président de la Fédération camerounaise de football ou le ministre des Sports ? Le journaliste Jean-Bruno Tagne connaît bien la légende du football Samuel Eto'o. Il a été son directeur de campagne en 2022 et a récemment publié sur lui le livre « L'arnaque» aux éditions du Schabel. En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi le ministre camerounais des Sports veut imposer à la Fécafoot un sélectionneur dont Samuel Eto'o ne veut pas ?
Jean-Bruno Tagne : Je pense qu’il faut remonter à ce qu'on peut considérer comme le discours fondateur de cette crise. Et ce discours fondateur, c'est celui de Paul Biya, le 10 février 2024, au cours duquel il constatait qu'il y avait eu des échecs, notamment lors de la Coupe d'Afrique des nations en Côte d'Ivoire. Et, dans ce même discours, il disait qu'il avait donné des instructions fermes au gouvernement et au ministère des Sports pour remettre un peu d'ordre dans la maison. Donc on peut subodorer que c'est ce discours du président de la République qui a mené le ministre des Sports à prendre les devants pour choisir un nouveau sélectionneur pour les Lions indomptables. Surtout que, quand vous voyez tous les actes du ministre des Sports, il cite toujours les très hautes instructions du président de la République.
Donc, a priori, le ministre des Sports est soutenu par le président Paul Biya ?
Absolument. Quand on regarde tous les textes qui ont été pris par le ministre des Sports, il rappelle toujours que ce sont de très hautes instructions de la présidence de la République. Donc on voit très mal comment le ministre des Sports aurait pu prendre sur lui de faire le choix d'un nouveau sélectionneur pour les Lions indomptables.
Alors Samuel Eto'o affirme que le choix d'un sélectionneur est de sa compétence, et pas de celle du ministre, il a raison ou non ?
Il faut dire qu’effectivement, ce qui s'est passé avec le choix du nouveau sélectionneur, c'est le fait du prince. Il y a une véritable bataille juridique sur cette question-là. Il y a la fédération camerounaise de football qui s'appuie sur un décret du président de la République de 2014 qui est venu, en quelque sorte, rétrocéder la gestion de la sélection nationale à la Fédération camerounaise de football. Donc la Fécafoot de Samuel Eto'o brandit ce décret du 26 septembre 2014, mais en ignorant superbement une convention entre le ministère des Sports et la Fécafoot, qui a été signée cette fois en 2015 pour venir préciser les contours de l'application de ce décret du président de la République. Et le ministère des Sports, lui, brandit simplement cette convention-là. Donc il y a cette querelle juridique-là qui est difficile à trancher, parce que les arguments d'un côté comme de l'autre se valent.
Samedi 6 avril, Samuel Eto'o a fait savoir qu'il n'acceptait pas le Belge Marc Brys à la tête de l'équipe nationale masculine et qu'il nommerait son propre sélectionneur d'ici mardi. Mais lundi 8 avril, le Belge Marc Brys a signé son contrat à Yaoundé. Du coup, est-ce que Samuel Eto'o ne se retrouve pas piégé ?
Je vois mal comment Samuel Eto'o pourrait nommer un autre sélectionneur à la tête de l'équipe nationale de football du Cameroun. Et cela pour des raisons objectives. D'abord, ce n'est pas lui qui paye, donc il va lui être difficile d'imposer quoi que ce soit. Et, deuxième chose, je ne vois pas quel entraîneur sérieux pourrait accepter de se lancer dans une telle aventure. Il faudrait être sacrément désespéré comme entraîneur pour accepter d'être nommé à la tête de la sélection nationale du Cameroun alors que le monde entier a été témoin de la prise de fonction du Belge Marc Brys. Donc, en réalité, le match est plié, Samuel Eto’o a perdu.
Et de fait, aucun sélectionneur bis n'a été nommé par la Fécafoot entre samedi et mardi. Est-ce à dire qu'aujourd'hui Samuel Eto'o rend les armes ?
Alors jusqu'à présent, Samuel Eto’o n'a pas mis sa menace à exécution, mais, en même temps, il faut rester très très prudent parce que Samuel Eto’o, c'est quelqu'un de déterminé, il ne s'avoue jamais vaincu en bon attaquant qu'il fut, donc il est possible qu'il puisse aller jusqu'au bout de sa logique. Mais ce ne serait qu'un acte de bravade et rien de plus, parce qu’il n’y aura pas deux sélectionneurs à la tête de l'équipe nationale de football du Cameroun, ce n'est pas possible.
Un ministre des Sports qui impose un sélectionneur à sa fédération, ce n'est pas très bien vu dans le monde du football international, est-ce que Samuel Eto'o peut former un recours devant la CAF, la Confédération africaine de football, ou la Fifa?
Alors, il faut qu'on soit d'accord sur le principe, le football, dans tous les pays normaux, se gère par les fédérations, donc normalement, les ministères n'ont rien à voir dans le choix de l'encadrement technique. Et donc, le Cameroun est une curiosité mondiale, parce que j'imagine que le monde entier se gausse en apprenant qu'au Cameroun, il y a des menaces de bicéphalie à la tête d'une sélection nationale. Donc c'est très mal vu. Mais je serais bien surpris que Samuel Eto'o attaque cette affaire devant la Fifa, parce qu'en réalité, s’il attaque, la Fifa risque de suspendre le Cameroun et là, encore, c'est lui qui serait perdant parce qu’il deviendrait président en réalité d'une coquille vide, parce que, qu'est-ce qu'un président de fédération si son équipe nationale ne peut participer à aucune compétition ?
Thu, 11 Apr 2024 - 925 - Présidentielle au Cameroun: «Je suis sensible à la proposition d'un pouvoir de transition», dit Cabral Libii
Au Cameroun, l'opposition se met en ordre de bataille à l'approche de la présidentielle de l'an prochain. En 2018, à la dernière présidentielle, le jeune Cabral Libii, 44 ans, était arrivé officiellement troisième à la surprise générale. Sera-t-il candidat l'année prochaine ? Ce n'est pas encore certain. De passage à Paris, le président du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), dévoile sa stratégie.
RFI : À la présidentielle 2018, vous avez créé la surprise en arrivant troisième et pour les législatives de 2020, vous vous êtes présenté au nom du parti PCRN, vous avez gagné cinq sièges de députés. Mais, depuis quelques mois, le fondateur du PCRN, Robert Kona, veut vous évincer de ce parti. Est-ce, faute de parti, vous ne risquez pas d’être interdit de candidature à la présidentielle de l’année prochaine ?
Cabral Libii :D’abord, vous faites bien d’évoquer une tentative d’éviction. Mais ce n’était qu’une tentative malheureuse… Parce que les autres fondateurs – ils étaient trois à la création de ce parti – les deux autres fondateurs ont pris leur responsabilité pour essayer de ramener à la raison l’autre fondateur qui est manipulé par le pouvoir, parce qu’il a fait l’aveu public de ce qu’il agissait sur instruction du ministre de l’Administration territoriale (Minat). Il a clairement affirmé devant les journalistes que l’objectif de toute cette manipulation était de m’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle, parce que le PCRN, ayant des élus, est en capacité d’investir un candidat à l’élection présidentielle.
Donc, c’est un acharnement sans précédent qui montre bien que l’objectif, comme l’a dit l’ex-président du parti, est de m’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle. Mais ce n’est certainement pas la médiocrité manipulatoire du Minat, M. Paul Atanga Nji. Ce n’est pas la manipulation d’un ministre qui m’empêchera d’être candidat à l’élection présidentielle. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, en 2018, je n’étais président d’aucun parti politique, eh bien, j'ai été candidat. Et pour ce coup-ci, attendons que la justice se prononce. Mais d’ici là, je reste le président national et je suis donc en capacité d’être toujours investi par le PCRN. Et je doute, au regard de ce que je viens de vous expliquer, que la justice se prononce en sa faveur.
Alors, vous n’êtes pas le seul opposant au Cameroun, il y a bien sûr Maurice Kamto, qui est arrivé deuxième officiellement à la présidentielle en 2018. Est-ce que vous n’avez pas intérêt de vous rapprocher de Maurice Kamto et de sa nouvelle alliance, l’APC, l’Alliance pour le changement ?
Il y a des démarches entreprises au Cameroun pour que les leaders politiques puissent se mettre ensemble. Il y en a principalement deux. Il y en a une qui a été initié par un collègue député, l’honorable Nintcheu, autour de la candidature du professeur Kamto. Et il y a une autre qui a été initiée par le professeur Bilé. Lui, il a une démarche qui m’accroche, moi personnellement et ceux qui me suivent.
Il propose que le peuple camerounais élise en 2025 un pouvoir de transition. Transition non pas par un coup d’État, comme on peut le voir dans certains pays, mais transition par le vote. Un pouvoir qui va faire un audit du Cameroun pendant deux ou trois ans, qui va assainir les textes, réécrire la constitution. Et moi, je suis sensible à cette proposition du professeur Bilé d’un pouvoir de transition et j’ai marqué mon accord.
Et qui serait, à ce moment, le candidat de l’Alliance pour une transition politique (ATP), que vient de former Olivier Bilé?
Déjà, l’ATP, c’est le nom que lui propose. Mais déjà, dans le groupe de travail. Ce n'est peut-être pas assez clair, mais je vous le dis quand même, je ne suis pas sûr que cela va s’appeler ATP, à l’issue de nos concertations. Mais il reste que c’est une dynamique de transition. Qui sera candidat ? Mais on avisera ! Effectivement, l’un des sujets sur lequel nous travaillons, c’est sur le profil de cette candidature, de celui qui va faire deux ou trois ans au pouvoir.
Et qui renoncerait au pouvoir à la suite ?
Et qui renoncerait immédiatement au pouvoir par la suite ! Et, d’ailleurs, dans la réflexion, certains proposent qu’il accède au pouvoir, il y renonce deux ou trois ans après et il n’est pas candidat lui-même ! C’est donc là l’une des différences avec l’autre plateforme dont je parlais tout à l’heure, où un candidat a déjà été défini et les uns et les autres sont simplement contactés pour se mettre derrière ce candidat. Ce sont deux approches diamétralement opposées.
L’autre plateforme dont vous parlez, c’est l’APC de Maurice Kampto.
En effet.
Alors que vous, vous pourriez peut-être vous effacer derrière Olivier Bilé pour la candidature en 2025 au nom de cette Alliance pour la transition politique, quitte à reporter votre candidature à plus tard, en 2027 ou 2028, une fois la transition terminée ?
Je l’ai toujours dit, je suis constant. Vous vous souvenez certainement que, même sur ces antennes, en 2018 déjà, car la question se posait, je pourrais moi m’effacer, moi, Cabral Libii, au profit d’un Olivier Bilé, puisque c’est le nom que vous avez cité ou d’un autre… D’ailleurs, à ma connaissance, M. Olivier Bilé, lui, il n’a pas encore dit s’il serait candidat… Mais dans cette plateforme, il y a, par exemple, Maître Akere Muna, le bâtonnier, qui, lui, a déjà dit qu’il était candidat pour exercer cette fonction-là.
Donc, que ce soit lui ou un autre qui aurait la faveur du choix du groupe, moi, je pourrais m’effacer en sa faveur. Tout comme je pourrais, moi-aussi, décider, le cas échéant, d’être candidat, de faire les deux-trois ans et ne pas être candidat derrière et de reporter à plus tard ma candidature. Donc, toutes les hypothèses sont ouvertes, rien n’a été arrêté.
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Wed, 10 Apr 2024
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